Espérat inclina la tête sans répondre.
Il éprouvait à cette heure un malaise indéfinissable. La vue du convoi le pénétrait d’une tristesse inexpliquée :
Pourquoi ? Il n’eût su le dire lui-même. Depuis deux mois que durait la campagne, il s’était familiarisé avec le sang, avec les fureurs des hommes. Pourquoi donc se sentait-il ému, bouleversé devant ces épaves de la bataille, dont les yeux fiévreux, les visages exsangues, se montraient, exprimant la surprise de la halte imprévue, la fatigue du voyage pénible et douloureux, le désir avide du repos, peut-être de la mort où l’on ne souffre plus, où l’on n’est plus secoué par les cahots dont chacun arrache une plainte.
Comme malgré lui, le jeune garçon se rapprocha de la file des voitures. Deux hussards seulement les gardaient, les autres avaient couru à l’hôtellerie du Cheval-Blanc et y réquisitionnaient des rafraîchissements. Il faut vivre, et bien vivre, sur le pays ennemi.
Les hommes laissés à la surveillance des blessés ne s’en occupaient guère. Le visage renfrogné, l’air maussade, ils n’avaient d’yeux que pour l’auberge dans laquelle leurs camarades avaient disparu.
Évidemment, ils se disaient :
— Les autres mangent, boivent… Nous, nous sommes de corvée auprès de ces blessés qui se passeraient bien de nous. À demi morts, ils ne s’enfuiraient certes pas… Sale métier ! Sale journée ! Sale tout !
Tout à coup, il se fit un mouvement dans la dernière voiture ; une voix prudemment assourdie appela :
— Espérat !
Le compagnon de Bobèche tressaillit :
— Qui a prononcé mon nom ?
Il regarda autour de lui, cherchant.
— Espérat, répéta la voix.
Guidé par le son, le jeune homme alla vers le chariot, et brusquement une exclamation jaillit de ses lèvres :
— Henry ! toi ?… toi ?
Il ne se trompait pas. Le petit voltigeur se trouvait là.
— Toi, continua Milhuitcent, tu es blessé ?
— Non.
— Alors que fais-tu en cet équipage ?
Le blond petit soldat répondit avec tristesse :
— J’accompagne le comte de Rochegaule qui, lui, est cruellement atteint.
— Le comte ?