Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/385

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membres de sa famille des douaires considérables, se contentant pour lui de l’île d’Elbe, ce minuscule coin de terre que la Méditerranée enserre de ses flots bleus. Pas un instant de faiblesse, pas une émotion apparente. Jamais il n’a fait montre d’autant de grandeur.

— Si, si… grand toujours.

— Les alliés eux-mêmes ont été troublés par l’élévation de ses sentiments, dans ce désastre sans nom où il perd tout. Ils lui ont conservé le titre d’Empereur. Sans royaume, sans armée, il restera l’Empereur.

— Oui, appuya le jeune homme avec une intonation farouche, il restera l’Empereur,… il restera la Gloire.

Mais Caulaincourt baissa le ton.

— Il restera, dis-tu… J’ai peur que non.

Milhuitcent frissonna… Ses yeux ardents fouillèrent les regards de son interlocuteur :

— Que voulez-vous dire ?

— Ceci. Le calme de Napoléon m’épouvante…

— Que craignez-vous ?

— Qu’il veuille mourir.

— Lui ! Toute l’âme d’Espérat passa dans ce cri… Vite, il se rapprocha du diplomate et d’un accent tremblé :

— Vous ne parlez jamais au hasard, vous, M. de Caulaincourt… Vous avez vu, entendu quelque chose… quoi… ? Parlez, je serai muet, mais pour qu’il vive, je suis prêt à donner ma vie.

— Je le sais… Il le sait aussi… Je ne te cacherai donc rien… Au surplus, je me trompe peut-être… c’est une impression vague…

— Non, non… quand un homme comme vous a une impression… elle est motivée.

— Eh bien…

Caulaincourt, s’arrêta, comme s’il hésitait.

— Eh bien ? questionna le jeune garçon.

— Eh bien… l’Empereur, après avoir lu l’acceptation de ses demandes concernant sa famille, a dit avec un ton impossible à rendre : Eux, du moins pourront encore être heureux.

— Ah !

— Puis venant au paragraphe par lequel lui était conservé son titre d’Empereur, il eut un sourire si dédaigneux, que je crus y distinguer cette pensée : Qu’importe un vain titre à celui qui songe au trépas.