Or la nuit, près de son lit, elle a sa carafe, son verre, personne pour la surveiller. Il lui sera donc très commode de préparer le breuvage mortel. Alors il m’était venu une idée.
— Laquelle ?
— Ne serait-il pas réalisable de mêler à l’eau de la carafe un contrepoison, inoffensif par lui-même, mais tel qu’il combattît l’opium, si ma parente venait à faire ce que je crains.
Un instant le droguiste demeura muet :
— Attendez donc, s’écria-t-il enfin d’un ton triomphant… Votre idée est excellente.
— Vraiment… et applicable ?
— Sans doute.
— Guidez-moi, Monsieur le bachelier.
— Ainsi ferai-je. Vous êtes un brave jeune homme, vous respectez le savoir, et j’aurai plaisir à vous obliger.
Raffermissant sa calotte, Ludovicus Varlot continua :
— Il y a deux sortes de contre-poison de l’opium : d’abord les vomitifs suivis d’absorption de café à haute dose, puis les corps antipathiques à l’opium. Je les nomme ainsi, parce qu’ils ne consentent pas à se combiner avec l’opium. Ingérés en même temps que le poison, ils traduisent leur répulsion pour lui en déterminant des contractions de l’estomac telles que ce viscère les expulse forcément, et rejette du même coup la substance vénéneuse elle-même.
Le jeune garçon ne put retenir un cri de joie :
— C’est précisément ce que je demande…, et cela existe ?
— Mais oui.
— Et vous me procurerez un de ces… corps antipathiques ?
— À l’instant même.
— Il se nomme ?
— Le tannin.
Ce disant, le droguiste prenait sur l’un des rayons un bocal empli d’une poudre jaunâtre :
— Voilà le corps, dit-il. Je vais vous en remettre un petit paquet, avec l’indication du dosage, et vous n’aurez plus rien à craindre.
— Ah ! Monsieur le bachelier, s’exclama Milhuitcent dont le visage rayonnait, je n’oublierai jamais ce que vous faites pour moi.
Et après une courte pause, il ajouta :
— J’espère du reste que, plus tard, ma parente elle-même aura à cœur de vous prouver sa reconnaissance.