Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/57

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— Ah ! Bonaparte ! Bonaparte ! c’est de la folie.

Lui appliqua paternellement deux baisers sur ses joues :

— Tu es contente, Beppe[1], c’est le principal. Ta joie va me donner une journée heureuse.

— Heureuse, répéta-t-elle brusquement, secouée par le souvenir de sa conversation avec les jeunes gens.

L’intonation douloureuse frappa l’Empereur.

— Comme tu dis cela, Beppe ? Aurais-tu l’intention de faire une scène à ton pauvre ami Bonaparte ?

— Non, balbutia-t-elle… non, mais…

— Bonaparte, continua Napoléon avec un sourire mélancolique… j’aime ce nom à l’heure trouble où l’Empereur, la France se retrouvent dans la situation que le général Bonaparte a jadis dénouée par la victoire.

Elle lui appuya les mains sur les épaules et d’une voix tremblante :

— L’invasion… n’est-ce pas… ?

— Non… les alliés vont prendre leurs quartiers d’hiver… et, au printemps… j’aurai une armée… je prépare un coup de foudre…

Il s’interrompit. Joséphine le regardait les yeux brouillés de larmes.

— Qu’as-tu, Beppe ?

Elle fit un grand effort ; et vite, comme si elle craignait de manquer de courage :

— J’ai… j’ai qu’ils ne te laisseront pas rassembler tes troupes…

— Comment ?

— Ils savent le pays désarmé… ils veulent l’abattre… et la frontière est franchie peut-être en ce moment…

Elle éclata en sanglots. L’empereur la prit dans ses bras :

— Rassure-toi, Beppe… cela n’est pas… tu fais un mauvais rêve. Mes agents me tiennent au courant… l’ennemi ne songe pas à ce que tu dis…

Elle eut un cri :

— Ah ! Bonaparte !… Bonaparte ! ils te trahissent…

— Non… la trahison atteindrait la France.

— Que leur importe.

Et comme il secouait la tête, Joséphine courut au paravent, démasqua les jeunes gens et dans un geste tragique :

— Écoute ceux-ci, venus ce matin pour m’apprendre la terrible vérité.

L’étonnement se peignit sur les traits de l’Empereur à la vue de Bo-

  1. En italien, le diminutif de Joseph est Beppo, l’Empereur avait francisé le vocable et pour lui Joséphine s’appelait Beppe.