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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

quiétude. Voici douze jours que nous avons fui Kiao-Tchéou, douze jours employés à nous débattre contre une invisible toile d’araignée, qui nous enveloppe, nous enserre, ne se montrant nulle part, se manifestant partout.

Et s’irritant peu à peu :

— Le premier jour, cela va ; notre automobile file à tout pétrole ; sauf les cahots et les meurtrissures qui en résultent, rien à dire. Nous rencontrons un nacrier (ouvrier employé à la culture de la nacre)[1]. Vous lui faites des signes, il y répond, démontrant ainsi qu’il est affilié à l’une de vos Sociétés secrètes. Alors vous lui remettez un papier, scellé du Drapeau Bleu ciselé sur le chaton de votre bague. C’était l’ordre aux pillards de Kiao-Tchéou de rapporter leur butin. Rien de mieux, nos jeunes amies avaient provoqué notre évasion par cette promesse… Mais le lendemain, oh ! le lendemain, les tribulations commencent.

« Nous déjeunons à Lin-Mang. Mal, il faut le reconnaître. Mais en voyage, je ne suis pas difficile. Seulement ce déjeuner se termine par une catastrophe. Notre auto a disparu sans laisser de traces.

Lucien serrait les poings, des éclairs s’allumaient dans ses yeux. Il fallait que le calme gentilhomme fût bien agacé, pour se livrer à de telles manifestations. Il continua rageusement :

— Le soir, coucher dans un caravansérail de Pao-Ting, peuplé de courants d’air et de porcs noirs. Sale, très sale ! La nuit se passe surtout en discussions avec une vermine d’une indiscrétion toute… chinoise… L’aube vient… Tout en me grattant, je cours à l’écurie… Nos chevaux sont étendus sur leur maigre litière… Ils sont morts, gonflés, hideux, empoisonnés selon l’apparence. Mais comme dans les caravansérails chinois, les voyageurs ont seuls la charge de nourrir leurs montures, l’aubergiste décline toute responsabilité.

Avec un profond soupir, le jeune homme gémit :

  1. En Chine, dans certaines rivières, on parque des huîtres et des moules d’une espèce particulière. Entre les coquilles on introduit des petites figurines d’étain que l’animal recouvre de nacre. C’est là une industrie bien chinoise qui fait vivre plusieurs millions d’individus.