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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Qu’est-ce que c’est que cela ? bredouilla-t-il tout à coup.

Par hasard, ses yeux inquiets s’étaient portés à l’est. Pas très loin, de l’autre côté de la passe de Ki-Lua, une autre cime dominait les hauteurs environnantes. Il avait reconnu le Fils du Jour. Mais à la crête de la hauteur, il avait cru discerner une ombre petite, grêle, se mouvant.

Il se frotta les yeux, regarda de nouveau.

Rien de semblable à ce qu’il avait pensé voir ne se montrait.

— J’ai la berlue, fit-il d’un ton rageur. Aussi est-ce un métier pour un honnête Graveur de Prières de se promener dans les montagnes, quand la nuit couvre la terre pour inviter les hommes au repos ?

Le Fils du Jour dressait sa massive et immobile silhouette sur laquelle ne se produisait plus aucun mouvement.

San se gourmanda.

Vis-à-vis de lui-même, il avait honte de sa pusillanimité. Sacrifier à l’hallucination, rien de plus ridicule de plus déconcertant, alors même que personne n’assiste à l’instant de faiblesse.

— Minuit ! Enfin ! Le géant se redresse, reconquiert son énergie, sa décision.

Il fait craquer une allumette. Protégeant des deux mains sa flamme vacillante contre le souffle du vent, il l’approche des branchages amoncelés.

Il y a un léger crépitement ; des langues de feu courent sur les brindilles, se réunissent en un faisceau compact, dardant ses pointes vers le ciel.

Vite, le géant y jette un feu de bengale dont il s’est muni. Et la lueur devient rouge. C’est une vague de sang qui ondule au sommet du Fiancé de la Nuit.

La clarté a chassé les affres du Graveur de Prières. Il songe que le signal de mort porte, à cette heure, l’ordre de tuer dans les plaines du Tonkin, les vallées d’Annam, le delta du Mékong. Il se sent grandi par le crime gigantesque. Son esprit de cruauté se réjouit des hécatombes qui vont commencer sous le voile complaisant des ténèbres.

— Mort aux chiens étrangers ! clame-t-il dans son exaltation.

Et au loin, telle une étoile des carnages, brille un petit feu aux tons de rubis.