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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

À cinq cents mètres, la troupe du chef des Masques d’Ambre apparaissait dans le sentier sinueux. En avant, un peloton de Pavillons Noirs encadrait Lucien, et Dodekhan et Lotus-Nacré, attachés en travers sur des chevaux.

— Oh ! murmurèrent les jeunes femmes, ils les ont rejoints.

Ils, c’étaient Joyeux et Sourire qui conduisaient par la bride les montures des captifs.

La vue des gamins fut la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Sara se tordit les mains.

— Eux, eux, ils nous ont sauvées… ils ont échappé à tous les dangers, aux soupçons même de nos ennemis. Devront-ils trouver la mort ici… sur un signal de moi ?

Ses dents claquaient :

— Qui parle de signal, reprit-elle avec terreur. Je ne veux pas… Je ne veux pas ! Le signal, mais ce serait tuer Lucien, mon mari, celui qui est tout mon cœur, toute ma vie… Est-ce que l’on peut commettre pareil crime ? non, non… Cela ne sera pas.

— Et cependant s’il était ici, et nous là-bas, il donnerait le signal.

Mona vient de prononcer cette terrible phrase.

La fille du général Labianov se souvient à cette heure des enseignements si souvent entendus dans la société de son père. Le soldat doit tout sacrifier : ses biens, sa famille, lui-même, pour défendre sa patrie.

Elle a oublié un instant qu’elle est Russe, pour se souvenir qu’à l’extrémité du défilé s’ouvre une terre que des soldats gardent, sous leur drapeau, que les gens engagés dans la passe veulent abattre.

Sara a reçu un grand coup au cœur.

Sa compagne a exprimé la vérité.

Lucien, avec sa conception de l’honneur, du patriotisme, donnerait le signal. Il aurait le cœur déchiré…

Oh ! oui, oui, il est bon, il aime, mais dût-il en mourir de douleur, il murmurerait :

— Périsse mon âme, périsse mon nom, mais que les soldats de France soient sauvés.

Et tandis que devant elle se dresse, affolant et tragique, le conflit de sa morale humaine de tendresse, de douceur, et de la morale plus haute du sacrifice, âpre, rigide, mais haussant l’homme à la taille de la divinité, Mona reprend :