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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

au pousse-pousse qui approche au pas indolent du porteur.

Dix pas encore. Les bateliers restent aussi indifférents. Il faut agir. Mona prend la main de la petite duchesse, et d’un accent où palpite la vibration accélérée de son cœur, elle murmure :

— Une promenade sur l’eau ?

Mais Sara haussa les épaules :

— À quoi bon ?… Il faudrait me déranger… Je suis bien là…

Comment, elle refuse ! Et le porteur parvient à hauteur des bateliers.

Une sorte de rage s’empare de Mona. Quoi ? Une fantaisie de convalescente l’empêcherait de savoir si son espérance n’est pas vaine, si le miracle, si l’impossible ne s’est pas réalisé ?

Elle se penche, touche l’épaule du porteur de son éventail :

— Arrête.

Obéissant l’indigène fait halte ; délibérément, la fille du général Labianov saute à terre, imprimant un balancement à la voiture.

— Que faites-vous ? questionne la duchesse surprise.

— Je descends… Je vais vous aider à en faire autant.

— Je n’y tiens pas… je vous répète…

— J’y tiens, moi… parce que, j’en suis sûre, le bateau vous fera grand bien… Sur terre, les cahots, pour faibles qu’ils soient, fatiguent… Sur l’eau, rien à craindre de semblable.

Tout en parlant, elle tire la duchesse sans force pour se défendre, elle la soutient, elle la reçoit dans ses bras, la dépose à terre, tout étourdie de ce brusque enlèvement.

Elle ne lui accorde pas le temps de s’expliquer, de se plaindre. Au porteur, elle dit :

— Attends-nous ici.

Aux bateliers, qui se sont enfin tournés de son côté, elle demande :

— Pouvez-vous nous promener sur le Cua-Cam ?

Elle a une nervosité vaillante à laquelle rien ne résisterait. Et les Thaï-Los inclinent gravement la tête. Ils aident les passagères à se glisser sous le dais dressé au centre de l’embarcation, dénouant l’amarre. L’un se place à l’avant, entre les avirons,