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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— N’empêche que malgré les torpilles, les pirates, qui fréquentent les innombrables îles du golfe, pourraient bien leur souffler leur navire.

Dodekhan eut un petit frémissement aussitôt réprimé, puis d’un ton indifférent :

— Vous croyez, mon brave ?

— Je ne crois pas, Monsieur… je dis que je me chargerais de réussir le coup… si j’étais pirate, bien entendu, au lieu d’être employé du phare, ajouta-t-il avec un gros rire.

— On dit ceci, on dit cela… Mais quand il s’agit d’exécuter la chose…

Le vieux fronça ses sourcils. Le doute exprimé par son interlocuteur le blessait.

— Moi, qui vous parle, Monsieur, si j’avais des économies… je n’en ai pas, hélas !… si je possédais quelque chose, je parierais bien contre vous.

— Et que parieriez-vous ?

— D’aller à bord, d’y rester deux heures, et de revenir sans que l’équipage s’en aperçoive.

Sur ses traits, le maître du Drapeau Bleu appela tout l’incrédulité qu’il put exprimer.

— C’est comme je vous le dis, appuya le gardien s’échauffant de plus en plus.

— Parbleu ! je voudrais voir cela.

Les yeux du vieux flamboyaient.

— Je suis trop pauvre pour parier, fit-il d’un ton quémandeur… et puis si je m’absente, je devrai payer le temps de mon camarade de phare[1]

— Ne vous inquiétez pas de cela… Je le paierai et il y aura pour vous cent francs d’argent de France.

La face de l’ancien marin se rida de mille plis. Il cligna les yeux et tendant sa main calleuse…

— Alors, topons, Monsieur.

Dodekhan plaça sa main dans celle du gardien.

— À présent, le marché conclu, dites-moi ce que vous comptez faire.

— Oh ! d’abord attendre la nuit.

— La nuit ?

— Bien sûr, Monsieur. La nuit, il ne fait pas jour, et ils ont beau envoyer, de temps à autre, des pro-

  1. Les gardiens de phares marchent par deux, se partageant le service, lequel, par les gros temps, exige une attention soutenue.