Page:Ivoi - Le Maître du drapeau bleu.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
390
LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

dous, au torse nu, bondirent près du brasier circulaire, semblant une farandole de statues de bronze.

Tous portaient sur la poitrine de légers sacs de cotonnade bleue, que fabriquent les usines françaises de Pondichéry.

Ils y enfouissaient leurs mains, les étendaient en un geste bénissant au-dessus des flammes, puis recommençaient.

— Que font-ils ? reprit Dodekhan, ne comprenant pas le but de cette manœuvre.

— Croyez-vous qu’ils soupçonnent notre présence ? chuchota Lucien.

Un instant, le Turkmène hésita à répondre. Puis lentement :

— S’ils nous avaient découverts, ils eussent poussé des cris de joie, de menace… rien de semblable.

— Alors que supposez-vous de la bizarre cérémonie à laquelle nous assistons ?

— Peut-être des adorateurs du feu… Il en existe beaucoup dans l’Inde. Un charmeur, dont vous avez entendu la musique tout à l’heure, a entraîné les serpents au loin… les hommes procèdent probablement à quelque incantation mystérieuse.

Le jeune homme s’arrêta soudain, aspira l’air à plusieurs reprises.

— J’éprouve une sensation bizarre… Je respire avec peine.

— Moi aussi, moi aussi, appuyèrent les jeunes femmes, qui semblaient en effet oppressées.

— Bon, répliqua le duc… L’air est chargé de fumée… Il nous faut en prendre notre parti, et nous dire que s’il n’y a pas de fumée sans feu, il n’existe pas non plus de feu sans fumée.

À la grande surprise du Français sa réflexion amena sur les lèvres des jeunes femmes un sourire.

— Ah ! la gaieté renaît, fit-il… Tant mieux… Je souffrais de vous voir si sombres.

Elles rirent plus fort.

— Ah çà ! je ne crois pas avoir dit une chose très drôle.

— Certes non, souligna Dodekhan.

Mais, chose étrange, en parlant ainsi, le Turkmène semblait avoir peine à comprimer une envie de rire immodérée.

Lucien stupéfié promena son regard sur ses compagnons.