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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Que voulez-vous dire ?

San eut un ricanement féroce, tel le rauquement d’un fauve :

— Je veux dire que la flamme vous a apporté le sommeil, l’anesthésie, comme l’appelle le Maître.

— Mais comment ? comment ?

Le géant rit plus fort. Sa face jaune exprimait une satisfaction bestiale :

— Eh ! eh ! la petite duchesse l’a exprimé un jour. Le Maître sait les secrets qui engourdissent les muscles et les volontés, qui lui livrent sans combat ses ennemis. Il avait employé l’opium, la belladone… Vous vous seriez défié de ses sucs… Il a cette fois utilisé un sel chimique, connu seulement des savants… dont l’effet a été admirable.

— Et ce sel ?

— L’azotate d’ammoniaque qui, se décomposant à la chaleur du brasier allumé par vous, a produit du protoxyde d’azote ou gaz hilarant, lequel vous a jeté du rire dans l’insensibilité.

Dodekhan demeura sans voix. Les sacs de cotonnade des Hindous, leurs gestes, tout s’expliquait avec une affreuse clarté.

Le protoxyde d’azote ! Qui eût songé à cela au milieu des bois, dans la jungle du Bengale !

Décidément la lutte était inégale. Log prenait les proportions d’un démon.

Et le jeune homme se souvenait… Cette saveur légèrement sucrée à ses lèvres, la sensation d’oppression, le rire invincible.

Il courba la tête, humilié de son impuissance, écrasé par les ressources inventives de son adversaire.

Un instant, San contempla son interlocuteur avec une insultante pitié, puis il revint à la planchette du « tour » qui donnait accès dans la cellule.

— Le Maître vous recevra tantôt, seigneur Douze.

Le Turkmène le regarda, interrogeant des yeux :

— Tantôt… pourquoi ?

— Pour vous dicter ses volontés.

Le ton sonnait si acerbe que Dodekhan fronça les sourcils.

— Oh ! ricana le géant, inutile de vous irriter. Vous avez perdu la partie, exécutez-vous de bonne grâce.

Il baissa la voix pour ajouter :