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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

— Oui, le Maître peut venir… J’ai aperçu tantôt son navire au large.

— Le Maharatsu ?

— Oui, j’avais contourné la montagne pour ramener les deux bonzes (prêtres).

— Pourquoi faire ?

— Je ne sais pas… C’était l’ordre du télégraphe.

— Où sont-ils, maintenant ?

— Dans la maison des ingénieurs de l’usine ; chacun dans une chambre séparée.

Et avec une nervosité curieuse :

— Que le Dragon Rouge me croque, mais je voudrais bien savoir à quoi le Maître veut employer ces deux niais.

— Chut ! chut ! ne parle pas ainsi des saints serviteurs de Fô.

Les causeurs se turent un moment. C’étaient deux jeunes Chinois, d’une douzaine d’années, petits, frêles, avec des faces safranées trahissant par leur maigreur, la pauvreté, les privations… mais tous deux avaient des yeux de jais, pétillants de gaieté et de malice.

Si gais même qu’au consulat anglais de Kiao-Tcheou, à la porte du yamen (palais) duquel on les avait ramassés un matin, à demi morts de faim, on les avait baptisés :

— Master Joyeux.

— Miss Sourire.

Et ces sobriquets étaient restés aux deux enfants sans nom, épaves parmi ces milliers d’épaves que la société chinoise jette aux hasards du pavé.

Donc garçonnet et fillette, tous deux légers de famille et d’argent, étaient devenus les protégés de la colonie.

On les avait reçus comme apprentis à l’usine de Fas-Yen, où bientôt leur gentillesse, leur bonne volonté, les avait fait prendre en affection par tous.

Mais s’ils se montraient zélés, obéissants, affables, ils semblaient n’éprouver de réel plaisir qu’à se trouver ensemble.

Aussitôt leur tâche accomplie, ils se rejoignaient et partaient pour de longues courses dans la montagne.

Les Chinois sont superstitieux. La nuit surtout, ils trembleraient de se mettre en route, par crainte des