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Page:Ivoi - Le Maître du drapeau bleu.djvu/95

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LE MAÎTRE DU DRAPEAU BLEU

posée sur des pieux fichés dans le plancher de terre battue, composaient un ensemble misérable, sordide, qui eût excité la verve ironique des fastueux vagabonds d’Europe.

Ces enfants, ces fleurs de misère, s’estimaient heureux de posséder un tel abri. Entre de grosses pierres dressées, du bois était préparé. C’était là le foyer sur lequel ils préparèrent leurs aliments. Joyeux plaça la marmite emplie d’eau sur les pierres, y jeta le riz, puis alluma le bois.

En l’absence de toute cheminée, une épaisse fumée se répandit aussitôt dans la cabane, et les orphelins, vaguement éclairés par les flammes dansantes, semblaient des ombres se mouvant au milieu de ce brouillard.

Un bourgeois robuste eût suffoqué dans cette atmosphère ; les petits ne paraissaient pas en être incommodés. Ils allaient, venaient, comme si cet air enfumé avait été aussi pur que celui des forêts.

De temps a autre, l’un des deux soulevait le couvercle de la marmite, aspirait avec délices l’odeur fade du riz, puis reprenait son occupation en murmurant :

— Il gonfle… dans quelques minutes, on pourra manger.

Ils étaient ravis. Cette soirée devenait soirée de fête pour ces abandonnés qui, une fois par hasard, se trouvaient suffisamment pourvus pour contenter leur appétit. Dire ce que fut le repas est impossible.

Jamais festin pantagruélique ne fut accompagné d’exclamations aussi laudatives, aussi enthousiastes. Les convives parlaient ensemble la bouche pleine, chantant les vertus du riz, la plante sacrée qui croit les pieds dans l’eau, la tête dans le feu. Sourire comparait les grains blancs à des perles, Joyeux affirmait que les étoiles étaient des grains de riz dispersés par les Bouddhas… Ils étaient émus, dithyrambiques, presque mystiques devant la platée du précieux aliment qu’ils dévoraient avec une ardeur infatigable.

Que voulez-vous ? C’est si bon le riz, les jours où l’on en a suffisamment !

Mais tout a une fin. Un moment vint où les petits atteignirent la limite de leur appétit. Alors, ils se regardèrent béats, souriants, et doucement la fillette murmura :

— Le bon souper !