Page:Ivoi - Le Message du Mikado.djvu/158

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not poursuivant signalait sa présence, tantôt point noir mobile à la surface des houles bleues de la Méditerranée, tantôt foyer lumineux glissant au sommet des vagues, ainsi qu’un œil rivé sur les fugitifs. La légende de Caïn, poursuivi par le regard vengeur, devenait une réalité.

La soixantième heure de navigation sonnait. Silencieux, énervés par le sentiment de la lutte impossible, les deux Japonais, leurs compagnons français considéraient distraitement les rivages découpés de la grande île de Crète, dont les montagnes tourmentées se découpaient sur l’horizon méridional, à moins de deux milles.

À voix basse, Tibérade esquissait pour Emmie un résumé rapide de l’histoire de cette terre héroïque, grecque de tendresse, turque par la force, maintenue dans une situation hybride, par l’incessante rivalité des grandes nations européennes.

Soudain, une légère explosion se produisit ! Le moteur cessa de faire entendre son ronflement caractéristique, et l’hélice, qui se tordait naguère sous les eaux, s’immobilisa. Le canot continua un instant à courir sur son erre, puis stoppa bientôt, demeura sur place, mollement balancé au gré des flots.

— Un cylindre brûlé ! cria le mécanicien Tomaso après une rapide vérification.

Tous firent la grimace. Seule Emmie s’esclaffa :

— Alors, c’est la fâcheuse panne. Midoulet va être obligé de stationner aussi, à moins qu’il ne vienne nous prendre à la remorque.

Elle se tut. Le mécanicien disait :

— La réparation est trop compliquée pour être effectuée en pleine mer. Gagnons le port de La Canée, qui heureusement n’est pas très éloigné. J’établis une voile de fortune, grâce à laquelle on arrivera tout de même.

Ceci dit, sans s’inquiéter du général ni de ses compagnons, dont le mécontentement se traduisait par des gestes, des exclamations véritablement peu tendres pour le destin persécuteur, Tomaso, aidé par Picciolo, dressa la voile, et lentement poussé par un vent du nord-ouest, le canot se rapprocha de la côte.