Page:Ivoi - Le Message du Mikado.djvu/303

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Le général s’énervait de la lenteur du déplacement. Il rappelait, avec une impatience douloureuse, les moyens de locomotion ultra-rapides des pays civilisés : automobiles, aéroplanes, trains accélérés. Et Marcel comprenant, aux battements de son propre cœur, l’angoisse qui étreignait le père de Sika, s’efforçait de paraître gai pour apaiser la douleur de son compagnon.

— Eh bien, général, disait-il, le kellek nous impose des grandes manœuvres auxquelles nous ne nous attendions pas !

— Certes ! Mais ce que l’on ne fait pas en manœuvres, je le fais ici. Je peste contre une journée de repos.

— De repos ? J’espère bien qu’il n’en est pas question.

— Erreur. Nos mariniers m’ont averti que nous séjournerions vingt-quatre heures au bourg d’Hillah !

— Et pour quelle cause cet arrêt intempestif ?

— Des réparations nécessaires à notre kellek. Ces radeaux sont lents comme escargots, mais en revanche, ils se détraquent aisément.

— Bon ! reprenait Marcel cherchant à rompre les chiens, si je ne m’abuse, le bourg d’Hillah occupe le centre de l’emplacement couvert, aux âges passés, par les palais fastueux de l’antique Babylone… Nous serons archéologues malgré nous et emploierons, si vous y consentez, l’arrêt forcé pour visiter ce qui reste de la puissante civilisation disparue.

La navigation continua parmi les horizons mélancoliques de champs incultes, abandonnés, sillonnés de canaux d’irrigation obstrués par le lent travail des siècles, que l’incurie des Osmanlis ne contrarie jamais. De rares affluents déversaient dans le fleuve leur parcimonieux tribut liquide. De loin en loin, une ville moderne, presque aussi ruinée que les cités d’autrefois, trahissait la vie par les éclairs que piquait le soleil sur les ors des minarets et des coupoles. Enfin, le kellek glissa entre les berges basses d’une immense plaine couverte de dattiers. La vue de ces arbres, de leur feuillage vert, après les étendues grisâtres des terres en friche parmi lesquelles le fleuve les avait emportés si longtemps, fut pour les voyageurs comme un apaisement.