Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/408

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Il y a sans doute une providence pour les hommes jaunes, comme il en existe une pour les ivrognes. Les machines du Nasaki résistèrent à l’épreuve, et vers dix heures du matin, conduisirent le steamer en vue du Varyag.

À Oraï qui se promenait sur le pont, le commandant Kuroki montra le vapeur russe à peine perceptible à l’horizon.

— Vous voyez, mon frère malais, que je ne m’étais pas trop avancé.

Le sacrificateur s’inclina.

Et l’officier continua :

— Souvenez-vous de cela. Vous doutiez hier, je l’ai vu. Désormais vous saurez qu’un Nippon peut ce qu’il veut ; nous sommes quarante millions d’hommes qui voulons chasser les Faces-Blêmes de l’Asie. Nous les chasserons.

Le petit homme prononça ces paroles avec une sorte de mysticisme. On sentait palpiter en lui l’âme d’un peuple qui se croit appelé aux plus hautes destinées.

Oraï le regarda s’éloigner sans trouver un mot à lui répondre. Il hocha la tête à plusieurs reprises, puis pensif, il alla s’accouder sur le bastingage.

Oh ! cette fumée lointaine, restant dans l’air comme un sillage, trahissant la marche du Varyag, quelles réflexions elle faisait germer dans le cerveau du prêtre de M’Prahu.

Son visage sombre demeurait impassible ; mais à quelques légères contractions, au battement rapide des paupières, on pouvait deviner qu’en lui bouillonnait une émotion inaccoutumée.

Et de fait, Oraï était ému.

Comme tous ceux de la tribu batta, il ressentait une affection profonde pour Daalia. La jeunesse, la beauté de la jeune fille, sa fortune même étaient pour les soumhadryens un orgueil.

Elle était des leurs et elle trônait parmi les conquérants.

Tout ce qui est humainement possible, le sacrificateur l’avait fait pour arracher la pauvre enfant aux conséquences de son vœu funeste.

Mais maintenant, il ne serait plus le défenseur, il serait le bourreau.

Son fanatisme religieux ne lui permettait même pas d’hésiter. Daalia avait manqué à ses devoirs