Elle soupire :
— Vous serez heureux, car nul n’est plus digne…
— Malheureusement, mon bonheur ne dépend pas de moi seul.
— Et de qui donc alors ?
— De vous.
— De moi ?
— Vous le savez bien.
Elle a un frisson. Dans ses yeux bleus se lève un petit nuage, comme une larme non condensée, et la voix tremblante :
— Vous croyez donc toujours ce que vous disiez à Sumatra ?
— C’est mal d’en douter.
— Oh ! ne croyez pas que ce soit de la coquetterie… c’est tout le contraire, allez. Je ne réfléchis qu’à cela depuis… je me sens si loin, si indigne de vous…
— Vous êtes un ange…
— Élevé à la diable, corrige-t-elle.
Morlaix a un sourire :
— Mais voilà de l’esprit à la française, mademoiselle Lisbeth.
Elle rougit de plaisir.
— Vous savez, poursuit-il. Après cela, quand bien même vous ne voudriez pas, vous serez madame Morlaix.
Et ils se taisent, les mains unies, assis côte à côte, sur le banc de cette chaloupe, les flots les bercent entre l’abîme de la mer et l’abîme du rêve.
Mais tout à coup une exclamation fait tressaillir tous les passagers, ils se redressent tournant la tête vers le débarcadère.
— Qu’est-ce donc, là-bas ? vient de dire Albin.
Là-bas, sur le plan incliné, plusieurs personnages sont rassemblés. On croirait qu’ils attendent le canot.
— Des Coréens sans doute, répond Daalia.
— Regardez-les bien.
— Je regarde. D’abord, un gros homme qui se tient à l’écart, comme un chef.
La jeune fille ne se trompe pas. Celui qu’elle désigne n’est autre que le mandarin Hao-Kin.
— Allons bon, il se dissimule derrière les autres, clame Gravelotte.
De toutes les bouches jaillit la même question :
— Qui se dissimule ?