Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/270

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— Le comte d’Artois et le duc d’Orléans sont arrivés à Lyon.

— Bonaparte vient d’être arrêté par les royalistes marseillais qui s’étaient lancés à sa poursuite.

— Tous les généraux ont renouvelé leur serment au roi.

— Le maréchal Ney a été appelé à Paris. Il va marcher à la rencontre de l’Usurpateur. Il a promis de le ramener dans une cage de fer[1].

Sifflets, bourrades, horions, s’échangeaient. L’attente de la foule prenait les proportions d’une émeute.

Et Espérat, tremblant d’angoisse, le cerveau ballotté par ces choses déconcertantes, errait toujours ainsi qu’une âme en peine, perdant tout souci de sa sûreté.

Soudain un roulement de tambours domina les autres bruits. La foule reflua de tous côtés pour dégager le centre de la place, où le 7e de ligne, le régiment de La Bédoyère, se formait en carré.

Que signifiait cela ?

Un lourd silence succéda au tumulte. Tous les regards se portèrent vers les bâtiments de la Préfecture. Milhuitcent plus que les autres attendait avec une muette épouvante.

Sur les degrés parut La Bédoyère.

Grand, élancé, le visage ouvert, le colonel du 7e descendait pensif.

On eût cru qu’un ultime combat, une suprême discussion, s’élevait dans son esprit.

Mais on lui amena son cheval.

Alors, il releva la tête, eut un geste résolu et se mit en selle. Au pas, il vint se placer au milieu du carré.

— Soldats, dit-il d’une voix lente, d’abord assourdie mais qui devint bientôt éclatante, on nous envoie au pont de La Bonne pour arrêter Napoléon…

Un frémissement parcourut la foule aussitôt réprimé.

— On nous demande d’assurer la victoire du drapeau fleurdelisé sur le pavillon tricolore. Je ne m’en sens pas le courage. Les trois couleurs me rappellent nos gloires, notre grandeur ; la cocarde blanche est pour moi l’insigne de la défaite et de la servitude. Tous, vous êtes libres d’agir selon votre conscience ; moi, je vais rejoindre l’Empereur pour vaincre ou périr avec lui, sous les plis du drapeau qui a parcouru l’Europe en vainqueur[2].

Il ne put continuer.

  1. Ce propos attribué à Ney, paraît n’avoir jamais été prononcé.
  2. Procès de La Bédoyère. Le vaillant colonel fut condamné à mort et exécuté pour ces paroles.