Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/387

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Le ton menaçant des jeunes gens fit hausser les épaules à leur interlocuteur.

— Au cas où vous résisteriez, vous prendriez la responsabilité de la mort de Lucile ; car je n’hésiterais pas à lui briser la tête.

— La tuer ?

— Sans souffrance. Une balle qui passe n’est point cruelle.

— Misérable !

— Bon, plaisanta d’Artin, il vous sied de parler ainsi, vous qui vous introduisez comme des voleurs dans ma maison pour m’enlever ma sœur.

Et d’une voix incisive :

— Naguère Marc Vidal, alors capitaine, fut recueilli, soigné au château de Rochegaule. Comment a-t-il payé le service rendu ? En enlevant l’âme d’une enfant ignorante, en essayant de l’arracher à sa tradition royaliste, en divisant une famille, jusqu’alors unie dans l’amour de la royauté.

Il laissa éclater un rire sinistre :

— Appelez-moi misérable, que m’importe. Vous m’appartenez désormais, car, par crainte pour l’existence de Lucile, vous ne résisterez pas.

Les jeunes gens courbèrent la tête. Eux, si pleins de confiance tout à l’heure, se sentaient vaincus.

Comme les circonstances se jouaient de leurs prévisions.

Denis Latrague rentra. Il tenait à la main un rouleau de cordelette.

— Attache les poignets de ces messieurs, ordonna le comte.

Tous deux esquissèrent un même geste de révolte, mais leur adversaire menaça de son pistolet la jolie tête de la folle, attristée par son éternel sourire insouciant et privé d’intelligence.

— Les poings derrière le dos, commanda encore d’Artin.

Et ils obéirent.

Méticuleusement, le rebouteur leur encercla les poignets dans sa corde et termina son ouvrage par des nœuds compliqués.

Désormais les libérateurs de Lucile se trouvaient réduits à l’impuissance.

Alors, le comte déposa son arme. Il vint à ses prisonniers, et s’inclinant devant eux, avec une politesse plus cruelle que l’injure :

— Messieurs, je vais gravir les coteaux d’en face et suivre la bataille. Priez que Bonaparte soit vaincu. S’il triomphe, en effet, je vous tue. Sinon, vous, Marc Vidal, serez seulement prisonnier du vainqueur, et ce jeune aventurier d’Espérat sera livré à la police, afin qu’il apprenne dans une prison bien close que l’on ne s’improvise pas gentilhomme.