Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/403

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— Donnons tout le sang de Rochegaule pour effacer le souvenir d’un coupable.

Et légère elle court aux soldats. À la vue de cette jeune fille qui, en sa robe blanche, erre au milieu du carnage, ceux-ci s’écartent.

Elle est dans le carré.

Marc Vidal, Milhuitcent s’y précipitent après elle. Le colonel Michel vient à eux :

— Que faites-vous ?

C’est encore Lucile qui répond :

— Aujourd’hui mourir est plus doux que vivre. Accordez-nous la grâce de tomber à vos côtés.

Le colonel s’incline.

Au reste, les événements se précipitaient. Espérat eut souhaité sauver sa sœur, la léguer à Vidal, fermer les yeux en songeant que, pour elle au moins le bonheur serait encore possible, mais déjà il était trop tard.

Le cercle de fer et de feu s’était refermé, emprisonnant le dernier carré.

Les balles sifflent, les boulets ronflent, des cris montent jusqu’au ciel, des corps s’affaissent sur le sol qui se teinte de rouge.

Au centre du carré, le drapeau flotte toujours.

À chaque minute, celui qui le tient haut levé, s’affale à terre, fauché par un projectile.

Aussitôt un autre reprend sa place.

Et tandis que le carré, fondant sous la mitraille se resserre, se recoquille, les corps s’empilent au centre formant au drapeau un piédestal toujours plus haut.

— Serrez les rangs.

La phrase, prononcée d’une voix calme par Cambronne, redite par Michel et par les officiers subalternes, semble souligner les phases de l’héroïque agonie.

— Serrez les rangs.

Cela signifie :

— Quelques-uns encore sont morts.

L’instant approche où il ne restera aucun de nous. Ô surprise ! la rafale de fer s’arrête subitement. Qu’est-ce ? La fumée se dissipe. Un officier anglais, précédé de deux soldats portant des torches, s’avance entre les combattants. Que veut-il ?

— Cessez le feu, ordonnent Cambronne et Michel, se glissant à l’alignement du carré.