Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/95

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çants stationnant au coin des rues, échangeant des signes avec les passants.

Or, à l’angle de la rue de la Sourdière et de la rue Saint-Honoré, presque en face du péristyle de l’église Saint-Roch, deux hommes causaient. Tous deux portaient le costume de bourgeois aisés, mais leurs visages énergiques et fiers juraient avec leurs modestes habillements.

— Alors, Bobèche, disait le plus jeune, tu es sûr qu’Espérat a reçu ta lettre ?

— Combien de fois faut-il te répondre : oui, mon vieux Henry.

— Autant qu’il sera nécessaire pour me convaincre.

— Alors, je te répète, mon histoire. Le juge, M. Tillois, qui est chargé de l’instruction de l’affaire de notre jeune ami, demeure rue de la Sourdière.

— Oui.

— Donc, si l’on conduisait aujourd’hui le prisonnier de la Conciergerie chez M. Tillois, son escorte passerait sûrement ici, devant Saint-Roch.

— En effet. Il n’y a pas d’autre chemin.

— Jusque-là, mon vieux Henry, nous sommes d’accord. Je continue. Hier le geôlier Navedan, qui est un de nos affiliés, a remis au captif un billet ainsi conçu :

« Mon cher Espérat, demandez à être conduit demain chez M. Tillois. Déclarez que vous avez des aveux à lui faire, aveux que vous voulez confier, non au magistrat, mais à l’homme privé. Soyez très affirmatif, il est indispensable que vous vous conformiez à ces instructions. »

Henry haussa les épaules :

— Tout cela est fort bien, mais après, après ? Tu ne comprends donc pas, mon cher Bobèche, que nous avons une occasion inespérée de délivrer Espérat, que si elle manque, nous ne la retrouverons peut-être jamais ; et j’aime Espérat comme moi-même, il est mon frère… d’adoption. Et avec une mélancolie soudaine.

— L’adoption c’est sa vie. M. Tercelin, son père adoptif. Il n’a connu, hélas ! son père réel…

— M. de Rochegaule ?

— Que pour recevoir son dernier soupir.

— J’étais là.

— Oui, oui, je me souviens. Il y avait aussi d’Artin, ce gentilhomme que lui, Espérat, aurait été si heureux de pouvoir considérer comme son frère aîné, il ne l’a pas voulu, il est son impitoyable ennemi. Il y avait aussi Lucile, la pauvre insensée, la seule personne qui m’ait accordé une part d’affection. Nous sommes traqués, Espérat est prisonnier, Lu-