Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/229

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plus chère, la plus tendre, celle auprès de qui l’on pense tout haut, dont le rire ponctue notre gaieté, dont les lèvres boivent nos larmes.

Et ses yeux se voilaient d’un brouillard.

Pourquoi ce bonheur serait-il réservé à elle, plutôt qu’à l’une des vingt autres prêtresses du temple Incatl ?

Elles aussi sans doute, à l’âge où l’intelligence dort encore, dans cette période imprécise, où la mémoire, aïeule du souvenir, n’est pas éveillée, elles aussi avaient été arrachées aux bras maternels…

Ainsi qu’elle-même, elles avaient grandi, parmi les prêtres doux, mais impassibles, ignorant les célestes joies des caresses d’une mère, d’un père, de sœurs, de frères souriants.

— Ah ! soupira-t-elle, jeune fille, pourquoi as-tu levé le coin du voile qui me cachait ces choses ignorées ? C’est une torture ajoutée au désespoir de ma solitude, un paradis que tu m’as montré en m’apprenant que j’en fus exclue. Toi si bonne, si tendre, si exquise, tu peux être ma sœur, je puis me figurer que tu l’es, et cependant le doute me défend de le croire.

Elle pleurait.

— Ma sœur, ma sœur !… Comme ces mots sont doux, ils ont le parfum des fraîches buées qu’exhalent les fleurs matinales. Et ces mots qui rythment en chanson les palpitations de mon cœur, je n’ai le droit de les prononcer que comme une fragile supposition, ou bien comme un divin mensonge.

Distraite de sa propre émotion, Stella cherchait vainement à consoler Ydna.

Hélas ! la prêtresse se trouvait dans la situation de l’aveugle recouvrant la vue et auquel un barbare dirait :

— Tu vois, mais désormais tu vivras dans un désert de ténèbres, et la vue reconquise ne te procurera aucune satisfaction. Tu sauras que tu es capable de voir, mais un rempart d’ombre t’empêchera de regarder, et la mort te prendra bientôt sans que tu aies eu le droit de voir.

Soudain, toutes deux se séparèrent.

Un jet d’air, froid au delà de toute expression,