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Page:Ivoi - Les Semeurs de glace.djvu/236

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— Vous refusez ?

Pendant un instant, Jean demeura immobile, muet, ne sachant à quoi se résoudre.

S’il s’expliquait, il creusait l’abîme infranchissable entre sa bien-aimée et lui-même ; s’il se taisait, l’abîme n’était pas moindre, car la jeune fille le croirait certainement, ou traître, ou poltron.

Enfin, il s’arrêta au premier parti, et, le visage pâli par l’angoisse, la voix martelée par les pulsations violentes de son cœur :

— Mademoiselle, dit-il, veuillez m’écouter. Quand vous m’aurez entendu, vous me plaindrez peut-être ; mais à coup sûr vous me mépriserez d’avoir tant tardé à vous éclairer. Ma défense est que je reculais devant l’aveu qui va me séparer de vous.

Surprise, elle l’interrogea du regard.

— Oui, c’est ainsi ; le rêve est fini, la réalité douloureuse reprend, la réalité dont on ne se débarrasse jamais, et qui pèse plus lourdement sur l’infortuné qui a cru la pouvoir oublier.

Et avec une sorte de hâte : 

— Olivio, les autres, je les immolerais à votre vengeance, mademoiselle ; mais ceux qui étaient là tout à l’heure, je dois les épargner.

— Vous devez ?… Ces bandits ?…

— Ces bandits sont ceux qui m’ont recueilli, pauvre enfant errant, abandonné. Ils ont vécu dans le sang, dans la boue, pour aplanir ma route. Instruction, honneur, je dois tout à la charité de ces meurtriers.

Stella eut une exclamation, mais Jean poursuivit :

— Étrange destinée, n’est-ce pas, mademoiselle ? Grandir dans la vie en se pénétrant de toutes les pensées hautes ; apprendre à sourire au sublime, et devoir tout cela à deux misérables qui, sans doute en vue d’une réhabilitation future décidée par Dieu, m’ont acheté toutes les vertus, toutes les affinités élégantes, toutes les répulsions généreuses qu’ils ne possédèrent jamais, et ont soldé l’achat avec de l’or taché de sang !

— Monsieur Jean, balbutia la jeune fille émue jusqu’aux larmes !

Il l’interrompit du geste.