Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/48

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— Jeune fille, murmura-t-il avec la voix hésitante de celui qui cède à une impulsion intérieure, jeune fille, la recherche de l’oubli est mauvaise à l’aurore de la vie. Elle chasse la gaieté, fane la jeunesse, racornit le cœur. L’oubli n’est bienfaisant qu’au milieu de l’existence à ceux que le malheur a cruellement atteints.

Et avec une émotion incompréhensible qui ternit ses yeux d’un brouillard humide :

— Le ciel voudrait-il que j’oublie enfin ?

L’Indienne se jeta à genoux :

— Tu pleures, padrone ; est-ce moi qui te fais pleurer ?

Mais il la releva brusquement, et présentant ses paupières aux lèvres de la Peau-Rouge :

— Non. Sèche mes larmes, enfant. Qu’avec elles s’évaporent mes souvenirs. Ne pars pas, le doux chant du cœur de la peone a ranimé mon cœur attristé. Le Grand-Esprit me verse par tes yeux la lumière consolatrice… Qu’il soit fait selon sa miséricordieuse volonté.

Quinze jours plus tard, Fabian Rosales épousait, au Presidio de San Vicente, l’Indienne Irahue dont le nom, d’allure prophétique, signifiait : aube blanche.

L’affection simple, naïve, de la fille du désert n’avait pas effacé la douleur mystérieuse enfouie dans le passé, de l’hacendado, mais elle l’avait adoucie. Trois filles : Inès, Vera et Anina, étaient nées de cette union.

Aujourd’hui, elles étaient respectivement dans leur dix-septième, seizième et dixième année, toutes trois brunes, au teint doré, aux yeux noirs, emplissant la maison de leurs chants, de leurs danses, des fusées cristallines de leurs rires, sérieuses seulement un jour par semaine, le jour où l’hacendado les conduisait à l’extrémité du parc réservé autour des bâtiments de l’hacienda, et où il s’agenouillait avec elles sous un berceau d’orangers, devant une dalle de marbre sur laquelle on lisait :

IRAHUE ROSALES
LE GRAND ESPRIT LUI DONNA MISSION
DE RAMENER LE CALME DANS UNE ÂME TROUBLÉE.
MESSAGÈRE FIDÈLE,
SA MISSION REMPLIE, ELLE EST RENTRÉE DANS LE SEIN
DE CELUI QUI L’AVAIT ENVOYÉE.