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LE PRINCE VIRGULE.

— Je ne plaisante jamais aux dépens des autres… Mais je continue. Vous occupez toute sa pensée ; peu à peu, le prince passe au second plan. Le moment n’est pas éloigné où M. Albert sera si bien ancré dans son affection, que le prince pourra disparaître tout à fait. Et tenez, pas plus tard qu’hier, ne me disait-elle pas :

— Ah ! je regrette le temps où je l’appelais M. Albert…, c’était plus gentil… Ça me gênera toujours de prononcer : Prince Virgule… Et puis, quand nous avons du monde, je ne puis plus l’approcher. On l’assiège, on se l’arrache.

J’ai mis à profit l’occasion pour répondre :

— Ah ! dame ! les princes, c’est toujours comme cela. Une princesse est bien moins heureuse en ménage qu’une bourgeoise aisée. Celle-ci a son mari à elle, pour elle… Une princesse a un mari comme elle a des diamants… Cela fait partie de sa parure quand elle va en soirée, et c’est tout.

— Oh ! fit-elle, vous semblez bien désillusionnée sur les cours.

— Je les juge après les avoir vues.

— Vous avez une audace ! murmura le jeune homme pensif, tandis que Mariole considérait sa fille avec orgueil.

— Et, reprit cette dernière, Laura est restée rêveuse, puis elle a balbutié tout bas :

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! que je suis ennuyée.

— Alors, reprit Albert, vous me conseillez d’attendre.

— Certes.

— Mais c’est terrible d’attendre comme cela… Ce satané Topee, qui recommande mon vinaigre à tous ses amis…, et Dieu sait s’il en a… le vinaigre de Tours, vinaigre de famille, le vinaigre princier. J’ai fait six cent mille hectolitres de vinaigre… Bonnard et Cie ne peuvent plus fournir.

— Eh bien ! tant mieux.

— Non, non, le bien mal acquis ne réjouit pas. J’ai tout ce vinaigre sur la conscience.

Tiennette eut un éclat de rire moqueur

— Ah bien ! je n’ai pas les chapeaux sur la conscience, moi.

— Oh ! les chapeaux…

— Mais c’est comme vous, on se les arrache. J’ai raconté qu’en France, maintenant, dans les familles les plus aristocratiques, les jeunes filles apprenaient un métier.

— Qu’est-ce que vous avez appris ? m’a-t-on dit.