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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

— Pour l’honneur… rien que pour l’honneur, monsieur Kozets.

— La Sainte Russie sera victorieuse. La phrase, prononcée par Mona, vibra âpre et pleine de foi dans la salle.

— Je le crois, mon enfant, je le crois !… Le Tzar vaincra, mais trop tard pour empêcher Sakhaline de succomber.

— Oh ! nos braves cosaques… et vous à leur tête, père…

Le général se leva, alla à la jeune fille, la baisa longuement sur le front, puis avec douceur :

— Tu es peut-être dans le vrai, ma gentille… mais il se fait tard, va te reposer.

Mona se leva aussitôt, embrassa tendrement son père, et après un salut quelque peu dédaigneux à M. Kozets — sans doute la fillette n’aimait point les policiers, — elle entraîna Macelle Lisbe au dehors.

Kozets fit entendre un petit ricanement.

— Par saint Nicolas, la jeune demoiselle n’éprouve aucune sympathie pour la police de S. M. le Tzar.

— Où prenez-vous cela ? répliqua le général non sans un tressaillement. Croyez qu’elle a été élevée dans le respect de l’Empereur et de tous ceux dont il plaît à Sa Majesté de faire ses agents.

Le policier eut un balancement narquois de la tête.

— Bah ! Voilà qui n’a pas d’importance. Occupons-nous de choses plus graves. Tout à l’heure vos paroles, plus encore le ton dont vous les prononciez, m’ont frappé. Vous êtes inquiet quant à l’issue de la guerre.

Labianov promena autour de lui un regard troublé, puis baissant la voix :

— Je ne le dirais à personne ; mais à vous, représentant de l’autorité du Petit Père[1], je dois la vérité. Oui, je suis inquiet, très inquiet…

— Peuh ! la Russie ne saurait être écrasée par le Japon… Elle a 120.000.000 d’habitants. Eux à peine 40.000.000. Nos ressources en hommes sont presque inépuisables. Qu’importent les difficultés du début, si l’on peut tenir la partie assez longtemps pour user l’adversaire, pour le réduire à néant !

Et comme le gouverneur ne semblait pas convaincu :

— Quoi ! cela ne vous apparaît pas évident ?

— Oui… et non.

— Ah ! pas à la fois, l’un ou l’autre, je vous prie… Oui… ou non.

  1. Appellation familière et affectueuse dont le peuple russe salue le Tzar.