combien son métier est odieux, ce métier qui consiste à envoyer les autres au bagne.
Elle arrêta brusquement sa diatribe. Le général venait de lancer une affirmation qui avait résonné douloureusement en son être :
— Nous le reprendrons.
— Si je ne le croyais pas, monsieur le gouverneur, j’aurais déjà eu recours au revolver… Avec cela, au moins, la souffrance est brève.
— Voyons, récapitulons ; nous avons bien fait le nécessaire.
— Il me semble !
— Nous avons télégraphié à Khabarovsk.
— De sorte que sur tout l’embranchement côtier de Khabarovsk à Vladivostok, personne ne pourra atterrir sans montrer patte blanche aux camarades de la police.
— Dès lors, le fugitif devra rester dans l’île ou y revenir.
— Et vos cosaques, lancés en chasse, le rencontreront nécessairement.
Le général secoua son front soucieux.
— À moins qu’il ne gagne la terre ferme au nord du fleuve Amour.
— Alors, ce serait un homme mort. Il tomberait dans la région des toundras, ces marécages, à sous-sol de glace, où l’on ne rencontre que des lichens et des mousses. Un individu isolé, perdu dans la toundra, n’en sort pas.
Mais avec rage :
— Seulement cela me perdrait aussi. Le moyen de prouver qu’il est défunt, je vous le demande… Il vaut mieux que je le repince.
Et insinuant, presque câlin, la crainte lui donnant une souplesse qui n’était pas du tout dans son caractère :
— Voyez-vous, Excellence, il faut que vous dirigiez d’incessantes battues dans Sakhaline.
— Nous nous en occuperons tous deux.
— Non.
— Pourquoi non ?
— Parce que je prendrai congé de vous aujourd’hui même. Je vous prierai de me permettre de me joindre à l’escorte qui accompagnera Mlle Mona.
— Vous abandonnez les poursuites ?
— Loin de là… Seulement, tandis que vous garderez cette rive du détroit de Sakhaline, je m’établirai sur l’autre, et je vous le jure, ce Douze sera malin s’il réussit à forcer le passage de ce côté.
Il baissa la tête pour ajouter :