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L’HÉRITAGE DE LA « FRANÇAISE ».

Il fallut se contenter de cette explication, car aucun des voyageurs ne put établir la moindre corrélation logique entre le mystérieux laissez-passer et l’attitude voisine de la ferveur des cavaliers nippons.

Dix minutes plus tard, le bagage de l’Anglaise avait été transporté auprès de celui de ses compagnons de route, et le train, délesté seulement de l’or et des officiers russes, quittait la gare de Ningouta.

Dix-huit jours de wagon, les arrêts à de longs intervalles séparés par le paysage monotone et triste ; les forêts sombres alternant avec des plaines désolées, ou les verstes succédaient aux verstes sans que parût un être vivant, homme ou bête. Les stations elles-mêmes, où la vie se manifestait, apparaissaient plus désolées encore.

À Kharbine, à Tsitsikar, à Khaïlar, à Tchita, des troupes bivouaquaient le long de la voie, se reposant du long voyage, laissant le pas aux convois de vivres et de munitions, plus pressés encore que les trains de renforts.

Et sur les visages des soldats, sur celui des officiers, se lisait la même tristesse morne.

On sentait que ces hommes, envoyés en ces confins du vieux monde pour défendre le drapeau de la Russie, marchaient avec le pire des compagnons de route : le découragement.

Ah ! la longue guerre contre le Japon avait été trop féconde en douloureuses surprises.

Le grand Empire moscovite, avec ses 120.000.000 d’habitants, ses ressources presque inépuisables, s’était flatté d’écraser bientôt le petit Japon, ses 40.000.000 d’âmes, ses finances obérées.

Et soudain la petite nation insulaire d’Orient s’était révélée grand peuple militaire, détruisant successivement les deux flottes russes ; emportant Port-Arthur, occupant la Corée, chassant devant ses soldats jaunes les armées russes, les brisant, les mettant en déroute partout entre Niou-Tchouang et Tchang-Tchoun, enlevant la ville sainte de Moukden en faisant 80.000 prisonniers, en mettant 100.000 Russes hors de combat.

Sur mer, sur terre, partout, la jeune armée nippone, inconnue la veille, avait enchaîné la victoire à ses drapeaux, ces drapeaux blancs, portant au centre le disque rouge du Soleil Levant.

Et puis, là-bas en arrière, dans cette Russie d’Europe dont on les avait éloignés, ces officiers, ces soldats du Tzar, sentaient trembler le trône, monter le flot irrésistible de la révolution.

Ce n’était point assez des défaites répétées pour amollir leur résolution ; combien à l’heure du combat ne se disaient-ils pas :