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Page:Ivoi - Miss Mousqueterr.djvu/11

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MISS MOUSQUETERR.

date, parcoururent le pays, achetant en bloc, chair et peau, les lapins qui, vu leur abondance, étaient tombés à un prix dérisoire. En un mois, l’usine de Jem transformait en « pâtés » trente millions des intéressants rongeurs, avec un bénéfice net d’environ six pence (0 fr. 60) par unité, et la fortune de l’usinier passait de 625.000 francs à dix-huit millions.

Ses détracteurs s’épuisaient à présent en clameurs d’enthousiasme. La marque « Jem » concurrençait victorieusement les plus célèbres conserves américaines, et quand Sir Mousqueterr, conseiller privé de la Nouvelle-Galles du Sud, décoré de quarante-trois ordres, tant Anglais qu’étrangers, baronnet, etc., etc., rendit sa belle âme au Seigneur, il laissait à son héritière, élevée dans les meilleurs établissements scolaires d’Angleterre, la bagatelle de deux cent soixante-quinze millions.

Le « Roi du Lapin » avait bien fait les choses. De nombreux gentlemen songèrent à faire mieux encore, en canalisant à leur profit cette fortune si honorablement acquise. On demanda la main de Violet pour trois lords, pour un duc héréditaire allemand, pour un prince prétendant à l’un des trônes Balkaniques ; un grand-duc russe même, épouvanté par la marche de la révolution au pays moscovite, ne craignit pas de se mettre sur les rangs.

Violet refusa tous les aspirants à sa jolie main, fine, longue, aux ongles roses. Croyait-elle mériter mieux que ces soupirs intéressés ? Non. Tous ces messieurs l’ennuyaient, voilà tout. Elle souhaitait désirer une chose, que la fortune ne lui pût donner… Quoi ? Elle n’en savait rien… et dans son ignorance de ce qui lui semblait devoir lui amener le bonheur, elle avait décidé, de façon irrévocable, qu’elle épouserait seulement celui qui lui donnerait la sensation neuve, inconnue, cherchée vainement jusqu’à ce jour ; celui qui serait doté d’un esprit assez original pour découvrir à ses yeux une joie, un plaisir, que l’or ne lui pût procurer.

Elle voyageait beaucoup. Seul, John Lobster s’était acharné à la suivre.

Ce représentant de la Chambre des Communes s’était juré à lui-même que miss Violet serait sa femme, la gardienne charmante de son home. Et, en homme qui a réussi à conquérir les suffrages de ses concitoyens électeurs, il ne doutait pas d’obtenir un jour celui de la jolie orpheline.

Il s’évertuait donc à satisfaire ses moindres caprices. À cette heure même, sur la terrasse du Mirific-Hôtel, dominant le jardin, fleuri en dépit de la saison d’hiver, et aussi les palmiers de la promenade bordant la mer bleue, où se reflétait le soleil radieux, John apparaissait chargé d’une multitude de petits paquets.

Il les dénommait tout en les posant sur un guéridon de jardin.