Page:Ivoi - Miss Mousqueterr.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
MISS MOUSQUETERR.

Il fit un signe. Aussitôt chacun des captifs se trouva encadré par deux séides du sinistre successeur de Log, jadis son serviteur. Celui-ci approuva le mouvement d’un sourire, puis lentement :

— Je ne vous apprendrai rien, Madame, en vous disant que mon maître Log, — sa voix se fit rude et frissonnante, — que mon maître Log, à qui j’appartenais comme le riz à l’eau, est mort assassiné par votre mari, ce frêle fils d’Europe auquel nous avions eu la sottise de laisser la vie.

Sara affirma du geste. La vaillante femme, le premier moment de stupeur passé, se ressaisissait. Elle tendait toutes ses facultés à bien comprendre le géant asiate, à deviner sa pensée derrière le rideau de ses paroles.

Et puis, elle venait de songer que San n’était point un jouteur comparable à son chef défunt.

Serviteur, lieutenant, esclave hier encore, ce malandrin, qui détenait à présent le titre magique de Maître du Drapeau Bleu, n’avait point appris les subtilités du dire. Il trahirait sa volonté peut-être en croyant la cacher.

Mais bientôt, elle dut abandonner cette espérance. San parlait, et elle se rendait compte qu’elle ne surprendrait rien, car il ne cherchait à rien cacher.

Avec l’audace instinctive des esprits simples, il suppléait à la finesse qui enveloppe les volontés adverses, par la brutalité qui les brise.

— Le maître mort. Que faire ? reprit sourdement l’athlétique personnage. Honorer sa dépouille, convoquer la confédération asiate tout entière sur sa tombe. Et après ? C’était jeter dans les esprits un ferment de crainte. Pourquoi crier aux soldats : Le chef, celui que vous vénériez à l’égal d’un dieu, a vécu. Pour faire de lui la chose inerte que contient le sépulcre, il a suffi d’un revolver manié par la main débile d’un Européen chétif, d’un être sans force, sans grandeur, de moins que rien.

Il eut un soupir menaçant.

— Ah ! le Drapeau Bleu ; la liberté de l’Asie. Que m’importe cela ! Seule me reste la piété adorante que je ressens pour le maître. L’honorer, comme il eût voulu l’être. Tel devenait le but de ma vie. Qu’avait-il rêvé ?

La voix du bandit se fit plus âpre, en ses yeux noirs flambèrent des lueurs rouges.

— C’est du sang qu’il lui faut, un fleuve de sang, et surtout, avant tout : celui des Européens qui ont causé sa perte, le vôtre, Madame la duchesse, celui de Mona, du duc, de Dodekhan !

S’il avait pensé effrayer la jeune femme, il dut être déçu.

— Eh bien ! répondit-elle avec une vaillance tranquille. Je suis votre prisonnière ; rien de plus simple que de me tuer.