— Joyeux ! Ah ! je savais bien, petit, que, toi présent, nous n’étions pas abandonnés.
Un chut énergique rappela la duchesse aux dangers de la situation, et ce fut d’un ton plus bas qu’elle reprit :
— Que veux-tu, mon enfant ?
— Vous conduire en sûreté.
— Le peux-tu vraiment ?
— Oui, le brouillard couvre la terre et les eaux. Nul ne vous verra gagner la rive. Le bateau vous conduira, là où le Maître a décidé que vous iriez.
Pendant dix secondes, personne ne répliqua.
Une émotion indicible paralysait les lèvres des captifs. Le brouillard favorisait leur évasion : n’était-ce point ce que Mona avait exprimé naguère ?
Toutefois, Max Soleil se ressaisit, et d’un ton dur, quoique peu élevé :
— Nous mettre en sûreté, certes, la pensée est excellente ; mais il eût été préférable de ne pas commencer par nous livrer à cette grande bête jaune qui a nom San.
Mais Sara l’interrompit :
— Cela sans doute était nécessaire, n’est-ce pas, Joyeux. Notre ami ne te connaît pas ; sans cela, il n’aurait point de soupçon.
Dans l’ombre, la voix chuchota :
— Oui, c’était nécessaire, le Maître a voulu qu’il en fût ainsi pour deux raisons. D’abord, le téléphote sans fil lui avait montré que le seul chemin permettant de rejoindre l’armée anglo-russe, vous obligeait à croiser San et son escorte.
— Ah ! s’exclama le romancier.
— Ensuite, continua l’interlocuteur des captifs, je devais paraître vous livrer à San, afin de lui donner toute confiance et de pouvoir ainsi exécuter jusqu’au bout les ordres de celui que je sers.
— Tu as des ordres. Il lutte, et le duc Lucien ?
C’était Sara qui, la voix, frémissante, lançait ces phrases interrogatives. Et l’organe étouffé de Joyeux répondit :
— Le duc Lucien est auprès du Maître. Il l’appelle son frère. Il combat comme lui.
Puis, l’accent brusquement changé. :
— Mais la volonté de sahib Dodekhan est pour l’instant que je vous conduise au milieu des soldats.