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MISS MOUSQUETERR.

tout, au loin, ils porteront la nouvelle de la défaite du chef par les puissances extra-terrestres. Partout, ils communiqueront leur indiscipline, leur découragement.

Les gamins expriment ces faits avec des mines si drôles que les voyageurs se laissent aller à partager leur gaieté communicative.

Ils prennent place autour du foyer, qui répand dans la chambre de pierre une douce chaleur.

On est bien là, sous l’influence de la tiédeur, du ronron de la marmite dont le chant monotone promet le repas chaud, réconfortant, l’on s’oublierait presque dans la jouissance physique de l’instant.

Mais master Joyeux, lui, ne saurait oublier les ordres de Dodekhan, du seul homme vraiment bon à sa faiblesse qu’il ait rencontré. Puis, les jours de misère ont blasé le gamin, tout comme sa petite compagne, miss Sourire.

— Tandis que Sourire veillera sur la marmite, prononce le gamin, je vais dire à Mlle  Mona et à Mme  de la Roche-Sonnaille, ce qu’attendent d’elles ceux qui m’ont envoyé.

Ces simples mots suffisent à chasser l’accès de sybaritisme du petit groupe. La réalité de la situation leur réapparaît.

Tous regardent Joyeux, dont la face maigre, les yeux vifs, s’éclairent étrangement à la flamme rouge du foyer. Lui aussi a l’air d’un lutin de la montagne. Mais il parle.

Il conte d’abord comment Dodekhan et le duc, qui, du Réduit Central, peuvent bouleverser l’Asie à deux, trois mille kilomètres de distance, sont impuissants sur l’unique kilomètre séparant leur prison du poste A.

Et tous sont impressionnés par cette lacune. Ainsi, Dodekhan a pu détruire les bandes de San ; il a pu réaliser ce prodige électrique dont les voyageurs ont été témoins. Et à deux pas de lui, à portée de sa main presque, il ne saurait se libérer de l’étreinte de quelques geôliers.

Il dit la tristesse du Maître à constater combien l’état mental des Asiates est éloigné de celui qui permettrait l’émancipation pacifique, préparée par Dilevnor, tentée par lui-même.

L’heure de la délivrance doit être reculée. Mais Dodekhan ne veut pas la destruction de l’admirable et irrésistible force emmagasinée par son père dans les entrailles de la montagne.

Il veut que cette force soit mise hors de l’atteinte de tous. Il veut qu’elle attende, ignorée mais intacte, les temps où l’Asie jaune sera apte à concevoir l’alliance de la liberté et de la bonté.