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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

descendants des conquérants espagnols. Pour eux, c’est toujours l’ancienne terre lule, la mère patrie, dont la rive est baignée par un Océan où Dieu n’a pas tracé de frontières. En sorte que les pêcheurs du Chitiqui et du Talamanca vivent ensemble en fort bons termes dans les parages de l’île del Drago, encore qu’officiellement ils n’appartiennent pas au même État, les uns étant Colombiens, les autres Costariciens.

Donc, Ramon et les siens étaient pour un temps mêlés avec leurs placides voisins, lorsqu’Agostin vint chercher des hommes résolus pour sauver « La Bareda ». Comme tout le monde, Ramon avait entendu parler de l’aventure politique du « Général de la Liberté des peuples » ; mais il ignorait que le libérateur fût son ami du Panama.

Après quelques mots du Terraba Agostin, il n’eut plus de doutes. Énergique et courageux, habitué au commandement pendant les travaux du percement de l’isthme, il eût tôt fait de prendre une décision. D’instinct, les autres le reconnurent pour chef, et c’est ainsi, qu’après deux jours de marche, la troupe de Ramon mit en déroute les Guatusos de José et put sauver Lavarède, Murlyton et miss Aurett.

Si sanguinaires que soient les Guatusos, ils s’enfuirent au plus tôt en cette occasion ; car, ne se battant ici que pour la somme qu’avait reçue leur cacique, ils n’y mettaient pas tant d’ardeur. Après tout, quelques-uns des leurs avaient été tués, d’autres blessés ; ils avaient bien gagné leur argent et tirèrent leurs révérences à don José.

Celui-ci, pris de peur à son tour, se dirigea rapidement vers Puerto Viejo, — qui fut autrefois florissant et est aujourd’hui pour ainsi dire abandonné. Là, il s’embarqua sur un caboteur de la côte et revint vivement à Colon pour rendre compte à Bouvreuil, le bailleur de fonds de l’affaire, de l’insuccès de son entreprise dans le Talamanca.

Cependant, Ramon et Agostin avaient pénétré dans le rancho si vaillamment défendu. Un lamentable spectacle les attendait.

Une plaie béante au côté droit de la poitrine, Armand est étendu, baigné dans son sang qui coule abondamment. Il est pâle, le visage est exsangue ; il ne donne plus signe de vie. Près de lui, miss Aurett, sans connaissance, semble être blessée aussi, tant le sang de son défenseur a rejailli sur elle.

Tandis que Murlyton, qui n’a été que légèrement atteint reconnaît Ramon, Agostin s’aperçoit que la jeune fille n’est qu’évanouie. Le médecin de la tribu est là ; il lui fait respirer un vigoureux révulsif. Elle ouvre les yeux à la fin et regarde, affolée, autour d’elle ces Indiens qui s’empressent.