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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/134

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DE L’ATLANTIQUE AU PACIFIQUE

Si la plaie ne se refermait pas, si elle se rouvrait, c’était la mort.

D’autre part, la fièvre et le délire allaient arriver bientôt, quand le malade recouvrerait ses sens ; à tout prix, il fallait se hâter. Agostin eut vite organisé une sorte de cacolet, brancard fabriqué avec des branchages et un pagne d’étoffe solide, qui fut adjoint au harnachement de la mule Matagna. Le blessé y fut doucement posé, puis, avec son escorte d’amis, il fut descendu vers la côte, en longeant le rio Tervis ; ce fut l’affaire de quelques heures seulement pour être sur le rivage de la mer, aussi désert au surplus que tout le reste de la contrée.

La pauvre petite Aurett ne quittait pas un seul instant son cher malade. Lorsqu’on l’étendit à bord d’un champan, chaland plat, amarré à la barque de Ramon qui le remarquait, ce fut elle qui, de ses genoux, fit un coussin pour soulever la tête d’Armand, qu’elle inondait de ses larmes. Murlyton ne protesta même pas, au nom des convenances ; c’eût été bien inutile puisque Lavarède était presque un cadavre sans connaissance, ne respirant que très faiblement ; le dernier souffle de vie pouvait s’envoler à chaque instant.

Les Indiens serraient de prés la côte afin d’éviter les coups de vagues. En approchant des Boccas del Toro, on trouva dans la baie d’Admirante une mer très douce. En somme, la traversée qui dura six jours fut exempte d’accidents.

Lavarède n’ouvrit les yeux que le troisième jour ; seulement, ainsi que l’avait prévu le médecin indien, il n’avait pas conscience de son être. Il vivait, c’était tout. Mais le délire commençait à le prendre et c’est sans qu’il le sût, sans qu’il s’en rendit compte, qu’il fut transporté dans une chambre du rez-de-chaussée, à l’Isthmu’s-Hotel, — où déjà Murlyton était descendu une première fois deux mois auparavant.

— Ainsi tant de fatigues, tant de courage dépensé, murmurait Aurett, n’auront servi à rien. En se dévouant pour moi, M. Armand a perdu de longues semaines sans avancer d’un pas !

L’Anglais n’avait pas hésité une minute à se charger de tout ; docteurs, chirurgiens, hôtel, rien ne manquait au malade, — pas même le renouvellement de sa garde-robe.

— Je le ferais comme gentleman, disait-il, et par humanité, même pour un étranger que j’aurais trouvé dans cette situation… à plus forte raison, pour notre cher compagnon…

Mais Aurett voulait mieux encore, dans sa petite tête ; et un beau matin elle s’en ouvrit à son père.