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AU QUARTIER CHINOIS.

— Voici le brave dont je vous ai parlé.

Le journaliste salua sans paraître gêné par les regards scrutateurs que fixaient sur lui trois paires d’yeux obliques.

— Asseyez-vous, reprit le lettré au bouton d’ambre.

— Volontiers, fit Lavarède, profitant de la permission ; — et à part lui, il ajouta : — Quelle diable d’affaire vont me proposer ces faces de safran ?

Le guide s’était discrètement retiré. Après un silence, le Céleste qui déjà avait pris la parole s’adressa au Parisien :

— Vous n’êtes pas Anglais, n’est-ce pas ?

— À quoi avez-vous reconnu cela ?

— Vous vous exprimez bien mais avec un accent particulier qui m’a convaincu que vous êtes né en France.

All right.

— C’est même ce qui m’a décidé à vous fixer un rendez-vous.

Armand s’inclina, attendant que son interlocuteur voulût bien s’expliquer. Celui-ci continua :

— Cinq cents dollars sont bons à prendre.

— Cinq cents dollars, pensa le Français !… Tous ces Chinois sont avares… Leur affaire doit être épouvantable.

Le lettré se méprit à l’expression de sa physionomie.

— Voyons, dit-il, ne finassons pas. Nous sommes autorisés à aller jusqu’à deux mille. C’est le dernier prix. Acceptez-vous ?

— À ce prix-la, murmura Lavarède, ils vont me demander de faire sauter toute la ville.

— Eh bien ?

— Eh bien ! c’est convenu. Quand toucherai-je la somme ?

— Dans trois jours, à minuit.

— Ah !

Il y avait du désappointement dans cette exclamation. En recevant de suite une portion de la prime promise, le Parisien eut pu renoncer à l’annonce du Californian-Times qui avait déplu à miss Aurett.

— Qu’avez-vous ? interrogea le Chinois.

— Rien. Je répète : c’est convenu. Que faut-il faire ?

— Attacher un pavé aux pieds d’un cadavre, et précipiter le tout dans la mer.

— Ah ! dit Armand avec un sourire… C’est vous qui l’avez fait, ce cadavre ?