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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/211

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

le jour même où il revêtait le manteau de plumes-royal. Mais les prêtres consacrés au culte de la déesse n’ont pas déserté ses autels et nous leur faisons comme autrefois des offrandes.

— Oui, murmura sir Murlyton, je comprends. Vous êtes chrétiens de nom et adorateurs de Pélé au fond de vous-mêmes.

Le Papolo eut un geste de dénégation énergique.

— Non, non, monsieur, ne croyez pas cela. Nous respectons les Kakounas parce que cela fait plaisir aux anciens, mais notre amitié est au Christ ; car c’est lui qui a mis fin à la tyrannie des chefs et qui nous a donné le suffrage universel.

Sous une forme bizarre, le Canaque disait la vérité. Les habitants de ce pays lointain, perdu en plein océan, jouissent du suffrage universel que la Belgique n’a pas encore pu obtenir.

Tout en devisant ainsi, les voyageurs escaladaient les flancs de la montagne. Aux arbres de la plaine avaient succédé des myrtes gigantesques, aux branches noueuses, couvertes de blanches floraisons.

— Nous sommes arrivés, dit le Papolo.

Il débouchait avec ses compagnons sur un plateau couvert d’une herbe courte et drue, que bornait une muraille perpendiculaire de rochers. Dans le granit, le ciseau patient des générations disparues avait creusé des figures enluminées d’ocre rouge. Une voûte irrégulière s’ouvrait au pied du roc, crevant d’un trou d’ombre la paroi inondée de lumière.

— Le temple de Pélé, dit simplement l’indigène.


Et comme les Anglais s’arrêtaient, regardant curieusement les lignes rouges tracées sur le rocher :

— Venez, ajouta-t-il, le tabou n’est plus observé et les Kakounas font bon accueil aux visiteurs.

Il y a encore soixante ans, un étranger n’eût pas traversé impunément le plateau ou se trouvaient miss Aurett et son père. Le tabou, ou tabus, consécration d’un lieu à la Divinité, punissait le profanateur d’atroces tortures ; mais aujourd’hui les coutumes d’hier sont déjà tombées en désuétude et, de l’antique religion canaque, il ne reste qu’un temple, demeure déserte d’un dieu détrôné.

À la suite du Papolo, les Anglais pénétrèrent dans le temple. C’est une succession de cavernes qui s’étendent sous la montagne, réunies par des couloirs étroits, tantôt plans, tantôt en pente raide où des marches ont été grossièrement taillées. Partout des aiguilles de granit trouant le plafond, s’élevant au-dessus du sol, des blocs aux formes étranges auxquels les