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DES SANDWICH À LA CÔTE CHINOISE.

enlumineurs sacrés ont donné l’apparence de monstres fantastiques ; et, dans les coins obscurs, des silhouettes de guerriers, appuyés sur leur lance, semblant monter l’éternelle faction dans cette demeure de l’éternité. Autrefois, le soldat vainqueur consacrait à la déesse les armes grâce auxquelles il avait remporté la victoire.

Sir Murlyton et la jeune fille suivaient leur guide, silencieux, recueillis, éprouvant, si l’on peut ainsi s’exprimer, une émotion rétrospective. Il leur paraissait que brusquement la roue des années était revenue en arrière, et qu’ils allaient assister à un de ces terrifiants sacrifices dont les voûtes du temple avaient été si souvent témoins. À leurs oreilles emplies de bourdonnements, arrivait comme un écho lointain du tambour sacré et ils se figuraient apercevoir, dans la pénombre, la théorie mystérieuse des prêtres et des vierges se rendant processionnellement à la salle du suprême sacrifice.

Ils s’arrêtèrent soudain. Au détour d’un couloir obscur, ils se trouvaient sur le seuil de cette salle, nommée aussi « caverne des victimes. » Plus vaste, plus peuplée de monstres de pierre que les précédentes, elle apparaissait grandiose. De la voûte, une crevasse bordée de végétations rubescentes, laissait filtrer une lumière rose qui ajoutait à l’apparence surnaturelle du lieu.

Presque aussitôt, une voix leur souhaita la bienvenue. Un Kakouna vêtu de la kalauwi, sorte de chasuble ouverte d’un seul côté, s’était levé du banc de pierre où il rêvait aux splendeurs disparues et venait à eux. Ah ! il était bien loin des farouches sectateurs de Pélé. Il conduisit les touristes ainsi que l’eut fait un cicerone de profession, et la visite terminée, il réclama prosaïquement « un pourboire » que sir Murlyton lui octroya « à l’anglaise », c’est-à-dire suffisant, mais pas généreux. Le Papolo restait au temple, mais avant de prendre congé des Anglais, il leur dit :

— Hâtez-vous de gagner la plaine, car le vent moumoukaou pourrait bien souffler ce tantôt, et dans la montagne, il est dangereux.

— Qu’appelez-vous moumoukaou ? demanda Aurett.

L’indigène étendit le bras dans la direction du Nord-Est. C’est de ce côté, en effet, que soufflent les tempêtes qui ravagent parfois l’archipel. Le nom hawaïen de ce vent en dit long sur les désastres qu’il cause. Moumoukaou signifie « destruction ».

Les Anglais reprirent d’un bon pas le chemin de la ville. Comme ils se rapprochaient de la région cultivée, ils aperçurent devant eux, au bord de la mer, un vaste terrain, piqué de petites cases, véritables cottages, et égayé