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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Comment se fait-il, Mademoiselle, que vous, qui êtes étrangère de naissance, vous parliez si purement notre langue ?

— Rien d’étonnant, cher monsieur. Comme la plupart des jeunes filles bien élevées de mon pays, une fois mes études terminées à Londres, j’ai été envoyée sur le continent pour me perfectionner dans la langue française. Mon père m’avait placée dans une institution de Choisy-le-Roi, celle de Mme Laville, où je rencontrai une douzaine de mes compatriotes, pensionnaires comme moi, mais assez libres, vu leur âge et l’éducation anglaise ; et nous venions ensemble presque tous les jours à Paris.

— En sorte que vous êtes presque une petite Parisienne ?

— Avec, en moins, la coquetterie, ce mot qui n’a pas de traduction littérale en anglais.

— Mais avec, en plus, l’aplomb et le calme que donnent l’initiative et la liberté, — un côté spécial de la façon dont sont élevées les jeunes personnes de votre nationalité.

— C’est cela… D’ailleurs, Paris nous est une ville très connue. Mon père l’a longtemps habitée ; il était à la tête de la succursale qu’avait, rue de la Paix, notre maison de Londres ; et j’ai fait, à diverses reprises, d’assez longs séjours dans votre capitale.

— Eh bien, je vous avoue, miss, que vous m’êtes plus sympathique encore depuis que je peux vous considérer comme une compatriote.

L’expression « sympathique », dont il s’était servi n’avait pourtant rien que de très poli, de très convenable. Cependant, miss Aurett rougit et parut embarrassée. Elle ne répondit rien. Et les deux jeunes gens eussent été peut-être un peu gênés de reprendre la conversation si le père, M. Murlyton, n’était venu fort à propos les avertir que l’heure du déjeuner avait sonné.

On sait que la table des voyageurs de première classe est plantureusement servie à bord de nos grands bateaux transatlantiques. Le luxe y est, pour ainsi dire, princier. Et c’est merveille de trouver, en pleine mer, où l’on pourrait se croire loin des ressources culinaires abondantes et délicates, un menu et un service dignes des premiers restaurants parisiens. Ce confortable est apprécié et admiré par les voyageurs de tous les pays.

La table est présidée par le capitaine. Les officiers du bord sont en fréquentation quotidienne avec les passagers et les passagères ; et rien n’est plus agréable que ces relations mondaines et rapides avec nos courtois marins.

À Lavarède, on donnait du « Bouvreuil » chaque fois qu’on lui parlait.