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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/382

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LE « GOUBET ».

de laquelle ceux-ci mirent sous les yeux de leur ex-prisonnier la lettre fabriquée à Bakou par le Parisien.

— Mais c’est l’écriture de Lavarède ! s’écria Bouvreuil, la reconnaissant du premier coup.

À eux trois ils eurent bien vite reconstitué toute l’aventure. Pour Schultze et Muller, furieux de rentrer bredouilles, il demeura acquis que le journaliste avait volontairement trompé et dépisté les agents ; qu’il s’était livré au détriment de la police austro-hongroise à des manœuvres frauduleuses et ténébreuses, dont avait profité le vrai coupable ! De là à l’arrêter, il n’y avait qu’un pas.

Bouvreuil affirma que le mystificateur viendrait à Trieste. Il rappela la façon dont il avait réclamé son ticket. Il persuada ses auditeurs.

Le jour même le chef de la police, insuffisamment renseigné par les détectives que la rage aveuglait, mettait à leur disposition une brigade de sûreté, et des souricières étaient établies à toutes les gares, Saint-André, l’Arsenal, Trieste-port, pour pincer le délinquant au sortir du train.

Cependant celui-ci, mêlé à la czarda, marchait à toute vapeur sur la cité adriatique en raclant du violon. Infailliblement il allait être pris. Il lui faudrait des semaines pour démontrera la justice, boiteuse en tous pays, l’inanité des accusations portées contre lui et l’héritage lui échapperait.

Voilà ce qui réjouissait Bouvreuil qui, pour l’occasion, s’était fait policier volontaire. Mais le ciel n’était pas dans son jeu.

Le 25 février, à dix heures du matin, le train qui portait Lavarède et ses amis dérailla entre la halte de Miramar et Trieste. Bouvreuil avait tout prévu, tout… excepté un déraillement. Les voyageurs, contraints de devenir piétons, entrèrent en ville par la splendide via « Giacomo-in-Monte », que la police ne gardait pas.

Laissant à droite le château et la cathédrale de San-Giusto, ils gagnèrent la piazza Grande, puis le quai du port dit « del Mandrocchio », et se dirigèrent vers le Grand-Canal qui part de la mer et partage la ville neuve en deux.

Sir Murlyton et sa fille avisèrent l’hôtel Garciotti, sur la « riva » ou quai du même nom, et s’y arrêtèrent, tandis qu’Armand, confiant en son étoile, vaguait par les quais, cherchant un moyen de poursuivre son curieux tour du monde.

Le hasard heureux était absent ce jour-là. Le voyageur se promena vainement du molo del Sale au molo San Carlo, de celui-ci au molo Benita. Il