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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/426

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FRANCE!

— Il serait bien étonné, souffla-t-il au marchand de vins, si à son retour, il trouvait la boutique repeinte.

— Il le mériterait… Seulement voilà, je devrais faire double frais.

— Non.

— Comment non ?

— Tenez, déclara Lavarède, je vais être franc. L’absence de M. Berlurée me gêne beaucoup. Service pour service. Assurez-moi la table et le coucher pour vingt-quatre heures, et je repeins votre façade.

Le marché était avantageux. Le commerçant fut tôt convaincu. Son épouse, une commère réjouie, au nez retroussé, courut chez un marchand de couleurs et rapporta les ustensiles et ingrédients nécessaires, plus un vernis désigné par le voyageur, qui le mélangea adroitement avec les matières colorantes.

Une heure après son arrivée, le Parisien, couvert d’une blouse obligeamment prêtée par Mme Félicité Croullaigue, la patronne, badigeonnait avec entrain.

Souvent Mme Félicité sortait pour voir si tout marchait bien. En réalité, elle avait été séduite par la physionomie fine du peintre, par ses yeux rieurs, par « un je ne sais quoi » qu’elle n’avait rencontré chez aucun de ses clients habituels.

Et puis jamais, dans le pays, on n’avait vu un ouvrier aussi expéditif. Grâce au vernis demandé par Lavarède, la couleur séchait presque instantanément, si bien qu’au soir la boutique avait reçu deux couches de bleu ciel, sur lesquelles se détachaient des filets noirs et le nom du débitant : Aristide Croullaigue, en jaune. C’était superbe. Le négociant exulta. Il proclama son hôte grand artiste, et si sa femme ne prononça pas une parole, ses regards furent éloquents.

Comme la signora Toronti, à Messine, elle rêvait peut-être d’attacher le peintre à son établissement. Un vrai Don Juan, ce Lavarède ; pas une n’échappait à la fascination.

Le lendemain matin, un mot de M. Berlurée était apporté par un camarade. Le chef de dépôt mandait à Croullaigue qu’ayant rencontré à Lunel d’anciens camarades de l’École des arts et métiers, il prenait, sur autorisation de ses supérieurs, cinq jours de congé.

À cette nouvelle, Armand ressentit un choc. Il ne pouvait rester à Tarascon jusqu’au 22 ou 23 mars. Oh ! certes, d’ici-là il ne manquerait de rien. Ravie de le conserver, Mme Félicité se chargea de lui trouver de l’ouvrage.