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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

Lorraine continua sa route à travers les îles du gracieux archipel pour regagner bientôt la haute mer.

Lavarède avait assisté muet à toute cette scène. Bouvreuil et lui avaient simplement échangé un coup d’œil significatif. Et le journaliste restait silencieux sur le pont, se demandant ce qui avait pu se passer entre ces deux hommes.

Ce fut encore sa petite Providence, miss Aurett, qui le renseigna. Avec la finesse particulière aux femmes, elle avait saisi un geste d’étonnement échappé à don José quand il monta sur le pont. Bouvreuil avait aussitôt placé son index sur ses lèvres recommandant évidemment le silence au rastaquouère. Cela l’avait intriguée. Se glissant rapidement derrière le mât de misaine, elle s’était dissimulée un instant, assez longtemps cependant pour saisir au vol ce court dialogue, qu’elle vint répéter à Armand :

— Comment, dit Bouvreuil, le personnage de qualité qu’on attendait, c’est vous ?

— Moi-même ; pas un mot, je vous en prie, répondit don José, il y va de ma position, de mon avenir.

— Je ne vous trahirai pas, j’ai pour cela plusieurs raisons que vous connaissez bien ; et en plus une que vous ignorez. Vous avez besoin de moi, j’ai besoin de vous, cela se trouve à merveille.

— Que désirez-vous de moi ?

— On prétend me faire quitter ce navire. J’ai un grand intérêt à y rester ; gardez-moi avec vous, même comme domestique, et cela suffira.

— C’est facile.

— Un point important : ici on ne veut pas que je m’appelle de mon vrai nom… On me nomme Lavarède, fit-il avec un sourire qui était une laide grimace.

— C’est parfait.

Et don José avait aussitôt tenu sa promesse.

De cette confidence de la jeune Anglaise, Lavarède ne concluait encore que ceci : un lien mystérieux rapprochait ces hommes ; mais lequel ? et comment le découvrir ?

Une seule chose était certaine pour lui, la Lorraine emportait à son bord deux ennemis au lieu d’un seul, et cela compliquait sa situation.