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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/57

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

qui lui étaient offertes, c’était très joli assurément, c’était même flatteur, et, jusqu’à un certain point, productif. Mais n’était-ce point un sort précaire ? L’inamovibilité des fonctionnaires n’est point décrétée dans les républiques hispano-américaines. Encore moins celle des traitements. Et la révolution chronique qui n’était encore que semestrielle, pouvait bien devenir trimestrielle. Les partis vaincus y avaient songé plusieurs fois.

Avec ça, le Trésor était à sec. Les appointements se soldaient avec des retards sensibles. Un beau jour, la bascule politique n’avait qu’à jouer avant le versement financier !…

Tout cela bien pesé, un bon mariage paraissait plus solide. Don José était jeune encore ; son titre dans le pays vers lequel on naviguait était de nature à flatter l’amour-propre d’une jeune personne ; les moyens de séduction honorables ne manquaient pas. Rien ne serait aisé comme de compromettre miss Aurett et de rendre l’union nécessaire.

Le plus pressé était de se lier petit à petit, pendant les derniers jours, avec sir Murlyton, et c’est à quoi tendirent les efforts del señor Miraflor. Bouvreuil l’y aida de son mieux. Ses regards même devinrent moins féroces lorsqu’ils croisaient ceux de Lavarède. Si bien que celui-ci put penser que l’antipathie de son propriétaire et créancier s’était séchée en même temps que ses habits. Il se trompait. Bouvreuil lui ménageait un tour de sa façon.

— Mon cher ami, dit-il à don José, ici, à bord de la Lorraine, ce coquin m’a pris mon nom. Il est, lui, Bouvreuil, homme considéré. Et je suis, moi, Lavarède, être sans importance, à moitié fou, la risée de l’équipage. Soit… patientons encore quelques heures. Bientôt nous débarquerons à Colon… Et là, je profiterai de la situation qui est faite à bord à Lavarède et à Bouvreuil.

— Que voulez-vous dire ?

— Ceci simplement : M. Bouvreuil est un personnage. Eh bien, une fois à terre je redeviens moi, je redeviens Bouvreuil, ce qui m’est facile, puisque j’ai tous mes papiers et que nous trouverons là des autorités régulières.

— C’est certain… Et puis ?

— Et puis Lavarède n’est plus qu’une sorte de colis que l’on va rapatrier par charité, — ou par force, à son choix. Tous les officiers de la Lorraine, les matelots eux-mêmes, en témoigneront… Rien ne sera plus facile que d’obtenir du consul français l’ordre de rapatriement dont il a été question devant moi aux îles Açores.

— Je comprends… Avec le commandant, je m’entremets pour demander