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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/61

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Vous voulez dire, objecta l’érudit, qui habitait la Madinine.

— Le nom créole, sans doute ?

— Non, monsieur, le véritable nom de l’île, celui que les aborigènes lui avaient donné.

— Ah ! très bien… Mais je ne sais pas le caraïbe, moi.

— Vous voulez dire le caribe, car l’autre mot en est la corruption française. Les Anglais, obéissant mieux à la tradition orale, écrivent caribbee, en quoi ils ont raison.

Lavarède ne voulait pas discuter avec ce puits de connaissances locales, il revint aussitôt à Jordan.

M. Jordan s’est établi à Caracas, où il a fondé le Bazar français.

— Un bazar… tout à treize.

— Monsieur est sans doute Parisien, fit gravement le commis. Le Bazar est, dans l’État vénézuélien, quelque chose comme le Louvre ou le Bon Marché, agrémentés du Temple et des Halles centrales… On y vend de tout, on y trouve de tout.

— Même des pianos ?

— Oui, monsieur, et des pommes de terre au besoin. C’est nous qui le fournissons de sucre.

— De sucre et de café ?

— Hélas non ! L’île ne produit plus assez à présent ni en café, ni surtout en coton, mais nous tenons le premier rang pour la canne à sucre et le tafia.

— J’en suis enchanté pour la Marti… pardon, pour la Madinine… Mais je suis plus enchanté encore pour notre copain Jordan.

— Certes, vous pouvez l’être ! Son capital a été décuplé. Il va en France tous les deux ans pour faire ses achats et pour éviter l’anémie, qui atteint ici les Européens qui ne quittent pas ces parages. Et même il a dû fonder diverses succursales à Bolivar, à Sabanilla, à Bogota, dans les grands centres de la Nouvelle-Grenade, ou (pour parler plus moderne) dans les capitales des États-Unis de la Colombie-Grenadine ; il a poussé, je crois, jusque dans les républiques de l’Ecuador et de la Bolivie. Mais son centre principal, la maison mère, comme il dit plaisamment, est resté à Caracas.

— Le voyez-vous quelquefois ?

— Oui… mais jamais dans l’hivernage, c’est-à-dire de juillet à octobre. Il vient revoir la France ici, pendant la saison fraîche, où il n’y a jamais d’ouragan.

Après quelques remerciements et politesses, on prit congé. Le temps