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« péré-péré »[1], les soprani très-aigus, les « héhahé » (ténors) et les « maru-maru », basses profondes des deux groupes, à orner le nouveau chant de quelques fioritures, dont le genre et l’application sont laissés à l’appréciation et au goût de leur talent particulier.

L’« himéné », ainsi complété, ne manque jamais de produire une grande impression sur l’étranger des pays civilisés qui l’entend pour la première fois. Toutes les lois de l’harmonie y sont instinctivement observées, et la mélodie du motif principal est généralement si étrange[2], les fioritures si extraordinaires, que ces chœurs tahitiens, entendus à une certaine distance, dans le calme d’une belle nuit ou dans le demi-sommeil d’un réveil matinal, procurent à l’auditeur le plus difficile les sensations qu’il éprouverait à entendre la plus belle symphonie.

Entre le 15 et le 20 décembre, si l’on parcourt la route circulaire de l’île et de la presqu’île de Tahiti, on rencontre, à chaque pas, des groupes d’indigènes des deux sexes, presque tous jeunes, se dirigeant à pied vers la capitale, Papeeté. Tous ces groupes sont endimanchés ; les femmes en « tapa », espèce de peignoir d’étoffe à ramages ou rayures de couleurs voyantes, fraîchement repassé ; les cheveux, gras de « monoï » [3], tombant le long des épaules en deux tresses, dont les deux bouts sont réunis par un ruban noir, ou relevés en double fronde vers la nuque, et reluisant au soleil comme des morceaux de jais ; le petit chapeau de paille garni à la mode « papâa », rabattu sur les yeux ; le foulard de soie flottant sur la poitrine comme une serviette, ou le mouchoir blanc entourant le cou et noué sur la nuque ; les hommes en « paréo »

  1. Qui jouent avec les notes.
  2. Le motif de quelques « himénés » est pris dans des chants sacrés introduits dans l’île soit par les ministres protestants, soit, plus fréquemment, par les missionnaires catholiques ; mais tellement « arrangés », que l’auteur primitif lui-même aurait de la peine à les reconnaître.
  3. Huile de coco épurée dans laquelle on a infusé une certaine herbe balsamique, ce qui lui donne une très-forte odeur, désagréable aux blancs, mais fort plaisante pour l’odorat des indigènes.