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Page:JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés — 19 juin 1897.pdf/5

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rellement à interpréter plutôt leurs propres idées que celles du conférencier. J'ai relu le texte officiel ; il ne m'a pas été possible de découvrir dans ce texte — comme je me propose de l'établir — les raisons qui ont pu provoquer une détermination aussi peu justifiée. Il y aurait donc un moyen bien simple de faire passer ma conviction dans vos esprits, ce serait de vous lire la conférence in extenso (Lisez ! à l'extrême gauche. — Réclamations au centre et à droite), c'est-à-dire le texte qui a été recueilli, le texte officiel ; mais je ne veux pas faire cette lecture ; elle ne manquerait cependant pas d'intérêt et aurait l'avantage de vous édifier d'une manière complète.

Il est beaucoup plus simple et plus expédient que M. le ministre vienne à cette tribune nous dire quels sont le passages qui ont mérité les rigueurs qui ont sévi contre M. Émile Chauvin (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.) Mais, je l'en prie et je l'en conjure, qu'il ne s'appuie pas sur des comptes rendus tronqués ou infidèles que l'auteur de la conférence répudie d'une façon absolue, parce qu'ils n'ont aucun caractère d'exactitude (Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs) et qu'ils constituent des interprétations arbitraires, d'ailleurs toutes différentes les unes des autres. M. le ministre pourrait ainsi faire un choix tout à fait arbitraire, et je ferai observer en passant à la Chambre que, si le système dont je parle était adopté, il en résulterait que pour incriminer un conférencier il suffirait d'introduire dans la réunion une personne (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche) déjà munie à l'avance d'un compte rendu tout préparé qu'elle publierait le lendemain et qui passerait pour être l'expression de la pensée du conférencier en constituant ainsi un véritable acte d'accusation. (Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs.)

Vous avouerez qu'il y a là quelque chose d'absolument inadmissible.

M. Gayraud. C'est ce qui est arrivé souvent pour des suppressions de traitements ecclésiastiques.

M. Montaut (Seine-et-Marne). Je l'ignore. En tout cas, vous le savez mieux que moi.

M. le comte de Bernis. Cela prouve qu'il y a deux poids et deux mesures. (Bruit.)

M. Montaut (Seine-et-Marne). M. le ministre, j'en suis assuré, doit regretter à l'heure présente un acte de rigueur aussi peu compréhensible et qui a causé — j'ose le dire — dans le monde de l'enseignement une certaine émotion. Il ne peut pas même alléguer à sa décharge qu'il a agi dans un premier mouvement, puisqu'il a attendu si longtemps avant de frapper ! Je serais plutôt porté à penser que des démarches ont eu lieu après de lui, que des gens puissants, auxquels les théories nettement républicaines et démocratiques de M. Émile Chauvin sont bien faites pour déplaire (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche) et qui en éprouvent une sorte d'effroi, ont réussi à peser sur sa détermination et qu'il n'a pas su résister !... (Très bien ! très bien ! sur les même bancs.)

M. Alfred Rambaud, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts. C'est du pur roman.

M. Montaut (Seine-et-Marne). Ces personnages auxquels je fais allusion ont donc obtenu gain de cause en apparence. Ils ont pensé peut-être fermer la bouche du jeune orateur, par ce procédé ; mais je crois qu'ils se sont trompés grandement et que l'avenir le leur prouvera.

Si je n'ai pas le droit de questionner M. le ministre sur ces démarches maladroites et auxquelles il aurait dû certainement résister, il est de mon devoir de demander en quoi sont répréhensibles et condamnables les paroles prononcées par M. Chauvin à Nanteuil. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.) Mais il y a à mon sens une question supérieure qui prime toutes les autres dans ce débat ; il s'agit de savoir dans quelle mesure un citoyen qui remplit des fonctions publiques peut exprimer ses idées...

M. Jaurès. Très bien !

M. Montaut (Seine-et-Marne)... ses aspirations, ses espérances, quand elles ne sont pas en tout conformes aux opinions de ceux qui détiennent le pouvoir. (Applaudissements à l'extrême gauche.) C'est sur ce sujet que mes amis et moi désirons connaître l'opinion du Gouvernement. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'instruction publique.

M. Alfred Rambaud, ministre de l'instruction publique et des beaux-arts. Messieurs, la question que vient de soulever M. Montaut, en comporte deux : une question de droit et une question de fait. Une question de droit qui peut se formuler ainsi : avais-je le droit de retirer à M. Chauvin une conférence facultative pour laquelle il avait été agréé par la faculté de Paris ? Une question de fait, qui est celle-ci : ayant ce droit, ai-je eu des raisons suffisantes pour en user ? (Très bien ! très bien ! au centre.)

Je vais traiter d'abord la question de droit.

Elle est dominée par un texte : l'arrêté du 30 avril 1895 sur les conférences dans les facultés de droit. L'article 3 dispose que des conférences facultatives sont dirigées : 1° par ceux des professeurs qui désirent participer à ce service ; 2° par des agrégés ; 3° — et voici justement la nouveauté de l'organisation prévue par l'arrêté de 1895, — « si les besoins du service l'exigent, par des docteurs en droit agréés par le conseil de la faculté ».

L'article 5 porte : « L'organisation des conférences est préparée chaque année au mois de juin pour l'année suivante, par l'assemblée de la faculté ; elle est soumise à l'approbation du ministre... »

Conformément aux dispositions de l'arrêté, le conseil de la faculté de droit s'est réuni en juin, il a dressé un tableau portant la répartition des matières afférentes aux conférences facultatives ; il a ensuite désigné les professeurs ou autres personnes qui, à des titres différents, participeraient à ce service. Ces dispositions m'ont été transmises par la voie hiérarchique le 27 juin 1896. Parmi les noms de conférenciers figure deux fois le nom de M. Chauvin : une première fois pour une conférence facultative de droit romain ; une deuxième fois, pour une conférence d'économie politique.

Voici le papier qui m'a été transmis sous la signature de M. le vice-recteur de l'académie : la première partie comprend la répartition des matières ; la seconde concerne les attributions à tel ou tel nom. Les deux espèces de dispositions forment un tout, en un seul document, et mon approbation s'applique aussi bien aux noms des personnes désignées qu'à l'organisation générale, aussi bien aux détails qu'à l'ensemble.

Il n'y a pas d'autre texte que cet arrêté du 30 avril 1895 ; et, si cet arrêté n'existait pas, M. Chauvin n'aurait pu prendre la parole à la faculté de droit et il ne serait pas question de M. Chauvin aujourd'hui. (Très bien ! très bien ! au centre. — Exclamations à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

C'est l'évidence même.

M. Faberot. On aura beau vous prouvez que vous avez tort, vous aurez quand même raison !

M. le ministre de l'instruction publique. Le droit qu'avait M. Chauvin d'enseigner à la faculté repose donc sur deux éléments : d'abord sur l'agrément de son nom par la faculté, ensuite sur l'approbation du ministre quant à l'organisation des conférences. Si l'un de ces éléments vient à faire défaut, évidemment sa mission doit cesser. (Très bien ! très bien ! au centre.) M. Chauvin n'avait pas d'autres droits que celui qui résulte de l'arrêté ; il n'était pas professeur, ce qui lui eût assuré les garanties qu'offre la titularisation ; il n'était pas agrégé, c'est-à-dire qu'il n'avait ni l'autorité ni les garanties que confère le concours ; il n'avait pas d'états de services, car dans les deux années qui ont précédé le semestre pendant lequel il a enseigné, il était simple étudiant en quelque sorte.

M. Montaut (Seine-et-Marne). Il a vingt-six ans !

M. le ministre. Il était demi-boursier à la faculté des lettres de Paris en vue de l'agrégation de philosophie.

Donc, pas de droits et pas d'états de services. C'est donc à tort qu'on vous parle de la nomination de M. Chauvin : il n'y a pas eu de nomination au sens propre du mot ; c'est également à tort qu'on vous parle de révocation, il n'y a pas de révocation. (Exclamations à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

M. Villejean. Qu'avez-vous fait alors ?

M. le ministre. J'ai retiré une approbation que j'avais accordée, voilà tout !

M. Chauvin s'est permis, dans les affiches annonçant la conférence de Nanteuil, de prendre le titre de maître de conférences à la faculté de droit. Ce titre n'existe même pas. (Ah ! ah ! au centre.) M. Chauvin n'a pas plus de droit à se dire révoqué qu'à se dire nommé. (Très bien ! très bien ! au centre. — Interruptions à l'extrême gauche.)

M. Millerand. Vous ne pouvez pas dire cela !

M. le ministre. Si, parfaitement, je puis le dire, et je le dis.

M. Millerand. Vous le dites, mais ce n'est pas exact. (Bruit.)

M. le président. Veuillez faire silence, messieurs.

M. le ministre. Je vous démontrerai, monsieur Millerand, que je ne puis même pas m'exprimer autrement.

Quelle est la situation des personnes chargées comme M. Chauvin de conférences facultatives à la faculté de droit ? Je ne veux pas diminuer ce genre de situations, elles sont en général occupées par des jeunes gens, l'élite de nos docteurs en droit, et desquels nous nous plaisons à espérer de brillantes recrues pour notre enseignement. Grâce à l'innovation du 30 avril 1895, ils trouvent, dans ces conférences, une excellente occasion de se préparer, par la pratique de l'enseignement, à l'agrégation de droit ; ils acquièrent en même temps, par les services qu'ils rendent à nos étudiants, des titres sérieux pour l'avenir.

Je ne veux donc pas diminuer cette situation, il n'en est pas moins vrai, que c'est celle d'un répétiteur de droit, comme il y en a beaucoup à Paris... (Protestations à l'extrême gauche), avec cette différence, qu'au lieu de donner des répétitions ou des conférences dans leur chambre, ils les donnent dans un local de la faculté de droit, avec l'agrément de la faculté et l'approbation du ministre de l'instruction publique. (Bruit à l'extrême gauche.) Ils peuvent passer jusqu'à un certain point pour des répétiteurs publics, puisqu'ils enseignent dans un local de l'État et sous le contrôle du ministre.

A l'extrême gauche. Voilà précisément où est la différence !

M. le ministre. On a dit tout à l'heure que j'avais agi je ne sais sous quelles in-