Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il se recouche aussitôt, satisfait, très heureux de pouvoir être désagréable au « bourgeois », au monsieur de la ville : « Ah ! Tu t’imagines que je vais prendre froid pour aller t’ouvrir ? Oui, compte là-dessus ; mais en attendant reste dans la rue. Quand on est riche, mon bon môssieu, on ne court pas les villages la nuit. Bonne nuit ! Et tape, appelle, crie, tambourine si tu veux ; nous verrons lequel de nous deux sera le plus tôt lassé. »

Le voyageur a-t-il les apparences d’un ouvrier ? Il n’agit pas autrement ; mais les griefs ne sont plus les mêmes. Dans ce cas c’est lui, le paysan, qui le joue au « môssieu de la ville », qui singe le bourgeois : Quoi ! Un vagabond, un va-nu-pieds oser réveiller un honnête homme tel que lui ? Quelle impudence ! C’est à se demander ce que font les gendarmes ! Lui le môssieu patenté, lui l’adjoint au maire, lui un personnage enfin, daigner se déranger pour cette vermine d’ouvrier, de chemineux ? Eh bien, ce serait du propre. La terre serait capable de n’en plus tourner ! Et puis pourquoi n’a-t-il pas un chez-lui, ce vagabond – car pour sûr c’est un vagabond. Est-ce que les honnêtes gens se promènent la nuit ? Allons donc ! Pour sûr c’est quelque échappé de prison. Qui sait ? Peut-être en veut-il à ses écus ? Lui ouvrir ? Lui donner l’hospitalité ? Autant aller se pendre. La peste soit du voyageur : qu’il se mouille, qu’il se trempe, qu’il se gèle, peu lui importe ! Son hôtel n’est pas un asile de nuit, après tout. Et, il se recouche tout en grommelant contre l’audace des ventre-creux, des sans-abri et l’inertie des gendarmes.

Sa femme, à moitié réveillée, lui demande :

— Qu’est-ce que t’as, Thomas ?

— M’en parle pas, ma mie ; un voyageur en casquette qui me demande une chambre !

— Oh ! Le brigand !

— Oser me réveiller à une heure pareille !

— Et par un pareil temps. T’as pas froid, Thomas ?

— Eh ! Oui, ma mie, je grelotte. Avance ma poupoule… viens près de moi que je me réchauffe… plus près encore… là.

Et, enlacés l’un dans l’autre, ils s’époumonent à repeupler la France. Braves gens !

Deux ans avant cette aventure, à Saint-Blin, dans la Haute-Marne, il m’était arrivé bien pire encore. Là, le gargotier daigna me répondre ; mais il le fit d’une drôle de façon ! Il se montra à la fenêtre, le fusil en main, me disant : « Va-t-en, sauvage, ou je te canarde comme un lapin. »