Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/34

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vouloir me la céder. Je les avais crus intéressés alors que ce n’était que de la délicatesse. Lorsque je voulus la leur payer ce fut des protestations à n’en plus finir. Pour avoir le dernier mot force me fut de jeter les quarante sous sur une table et de m’enfuir aussitôt en les remerciant.

Cela fut même cause que j’oubliai de leur demander le chemin le plus court pour atteindre la gare ainsi que l’heure du prochain train. Ils auraient pu sûrement me renseigner car, à la campagne, tout le monde sait l’horaire par cœur, de mémoire.

Plusieurs groupes d’habitations formant chacun soit un hameau soit un village s’offraient à mes regards. Lequel était Wiry-au-Mont ? Là était la question. Alors, comme je suis de ceux qui ne lambinent pas pour prendre une décision, je mis le cap sur le plus proche, en faisant comme ces navires qui, faute de vents favorables, gouvernent au plus près, pour faire porter leur voile.

À mi-chemin, dans l’aire de ma route, je vis un travailleur de la terre à son ouvrage. J’allai vers lui.

— Est-ce encore loin Wiry-au-Mont ? lui demandai-je.

Il étendit le bras vers le groupe de chaumières que je m’étais proposé comme but.

— Voilà Wiry-au-Mont, me dit-il.

— À quelle heure passe-t-il un train ?

Il se gratta l’occiput comme pour mieux réfléchir, puis :

— Celui de huit heures est passé, dit-il après avoir consulté sa montre, mais il y en a un autre à 11 heures.

Je le remerciai et partit. Tandis que je continuai ma route, je résolus de ne point m’arrêter à ce village. Attendre jusqu’à 11 heures ne me parut pas prudent. Il vaut mieux profiter de ce désavantage pour continuer d’avancer et gagner du terrain, me dis-je in petto. Ce que je fis d’ailleurs.

Sur la frontière du village, à quelques mètres des premières habitations, je rencontrai le facteur, un gourdin à la main, sa boîte aux lettres en bandoulière, marchant tout joyeux en sifflotant l’air de Viens poupoule. Il me rendit le salut que je lui adressai et continua son chemin sans me regarder comme une bête curieuse. Cela m’étonna tellement que j’en déduisis de bons présages. Si le télégraphe avait marché, me dis-je en moi-même, nul doute qu’il le sût. D’autre part, se passait-