Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/37

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Mais n’empêche que cette façon d’apprécier leur conduite fut une des causes de ma perte : « puisqu’ils ne sont pas informés depuis trois heures qu’a eu lieu le drame, me dis-je encore, ils ne le seront jamais. Seules, les gendarmeries limitrophes de Pont-Rémy ont dû être avisées. » Et, confiant dans cette manière de voir, je relâchai ma prudence.

En arrivant à Dreuil, je tournai à droite, enfilant un étroit chemin conduisant sur la route d’Airaines. À l’un des coins, se trouvait un café-auberge, le café du Commerce. Mes jambes, n’étant plus aiguillonnées par la crainte du danger, me dirent qu’elles seraient bien aises de se reposer une heure ; mon estomac qui n’avait rien absorbé depuis quatre heures - j’étais parti de Paris sans dîner, n’ayant pas faim - me dit à son tour qu’il ne serait point fâché de donner asile à quelques aliments. Ces demandes me furent adressées d’une façon si cajolante que je n’eus pas le courage de résister à ces deux parties de mon tout. Je les aime tant, les pauvres !

Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère… comme dit l’autre. J’entrai donc à l’hôtel du commerce de Dreuil pour faire droit à leur sollicitation.

J’y fus reçu par une personne de vingt-cinq printemps. Après m’être fait servir un Byrrh à l’eau, je lui demandai s’il était possible de casser une croûte.

— Oh ! Vous savez, me dit-elle en esquissant un léger sourire, montrant ses blanches dents, façon de faire voir qu’elles n’étaient pas gâtées, nous ne sommes pas bien montés à la campagne… Je ne puis vous offrir que des œufs, du beurre. Vous comprenez, le boucher n’est pas encore venu et nous n’en avons pas dans le hameau : il faut aller jusqu’à Airaines.

Puis, après une courte pause :

— Je puis vous offrir des sardines à l’huile, ajouta-t-elle.

— Mais c’est plus qu’il n’en faut, lui dis-je pour la mettre à son aise. Ne vous mettez donc pas en peine, brave femme. Donnez-moi des œufs, du beurre, des sardines à l’huile ainsi qu’une chopine de vin pour arroser le tout. Cela me suffira.

Et, sans plus de façon, j’avalai d’un trait mon apéritif afin d’étancher la fièvre qui me séchait la gorge ; puis je sortis un journal de ma poche et me mis à le lire.

L’hôtesse passa dans une pièce voisine, la cuisine sans doute. Je l’entendis ouvrir des tiroirs, remuer des bouteilles, essuyer des verres, prendre des assiettes, des fourchettes. Quel remue-cuisine, mes enfants ! Tout ce cliquetis de fer-blanc, de verre et de terre cuite me fit entendre que mon arrivée était tout un événement. Les