Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/39

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En effet, presque aussitôt on entendit des pas dans le jardin et deux paysans entrèrent. À l’accueil que leur fit l’hôtesse, je compris que c’étaient des habitués du café. Ils s’attablèrent à coté de moi, causant en patois très fourni en li, mi, ti, cheu, leu, meu, teu. L’hôtesse leur servit à chacun une bistouille, puis elle revint à la charge pour me questionner.

— Alors vous achetez de vieilles choses ! Reprit-elle.

Ses paroles firent dresser l’oreille à mes deux voisins. Les voyants intrigués :

— Monsieur est antiquaire, leur dit-elle en me désignant du regard.

— J’achète tout : le vieux et le neuf. Il suffit que l’on soit raisonnable pour le prix.

Puis après avoir vidé mon verre de vin :

— Voudriez-vous vous débarrasser de quelques objets ? lui demandai-je imperturbablement.

— Non. Mais je voudrais savoir, comment pourrai-je vous dire, savoir la valeur… oui, c’est ça la valeur d’un médaillon, un cadeau ; un souvenir de famille, me dit-elle timidement en rabattant plusieurs fois ses paupières, doucement, comme une nonne en rupture de cornettes.

Voyez-vous ça ! Elle profitait de l’occasion pour avoir une expertise gratuite. Ah ! La gueusarde de tête de belette !

J’étais tout disposé à faire suite à son désir, lorsqu’un bonhomme, un panier sous le bras, entra brusquement dans la salle.

Rien qu’à voir sa tête de bouledogue montée sur un cou de taureau, on devinait un de ces hommes qui vous plongent voluptueusement un coutelas dans le cou d’un bœuf ou d’un mouton en chantant Viens-tu Jeannette. Le vrai type : garçon d’amphithéâtre ou garçon d’abattoir. Comme il n’y a pas de faculté à Airaines, j’opinai pour le garçon d’abattoir. En effet, c’était le boucher.

— Bonjour à tous, dit-il en saluant avec sa casquette.

Puis il alla dans la cuisine, muni de son panier pour livrer la commande à l’hôtesse, qui le précédait.

Demeuré seul avec les deux paysans, l’un d’eux, la langue déliée par la bistouille, se risqua à me parler.

— Alors, vous êtes antikouér ? me demanda-t-il en aspirant quelques bouffées de sa pipe.