Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/47

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pensée une bouffée de révolte me monta au cerveau en bouillonnements de colère.

« Quoi ! Vais-je assister paisiblement à mes propres funérailles ? » Me dis-je en recouvrant un peu de mon énergie sous l’impulsion de mes souvenirs.

Puis, subitement, comme une goutte d’eau froide tombant dans une chaudière en ébullition, les soliloques de tantôt revinrent à la charge : « À quoi bon se défendre ?… N’est-ce pas fatal ?… »

Mais bientôt, la goutte d’eau s’évapora, réduite en vapeur par la logique des choses : « Pourquoi te défendre ? Pourquoi tuer ? Imbécile ! Mais si tu ne te défends pas… si tu ne les tues pas, ce seront eux qui te tueront. Quoi ! Le mouton bêle, le bœuf meugle, le porc grogne, tous jettent leur cri de révolte en allant à l’abattoir, se débattent, se démènent, se défendent pour échapper à leurs bourreaux, et toi, homme, tu irais muettement et tête baissée à l’échafaud ? Allons donc !… »

Avant tout, il s’agissait de ne rien laisser paraître de ma résolution. Lentement, d’un geste machinal, indifférent, je portais ma main droite dans la poche de mon pardessus où se trouvait mon revolver.

Comme s’ils avaient été éclairés par la même pensée, le procureur et le gendarme jetèrent soudain leur regard sur moi, observant mes gestes. Le brigadier, pour plus de sûreté, porta même la main sur la gaine de son revolver, prêt à le sortir.

— Vous êtes sans doute le commissaire de police ? Dis-je au procureur, manière de captiver son attention par des questions.

— Non ; je suis le procureur de la République d’Abbeville.

— Ah !…

Puis, voyant qu’il s’obstinait à regarder dans la direction de ma poche, je repris :

— Et où me conduisez-vous ainsi ?

— Vous le saurez bientôt, me répondit-il sèchement.

Je crus inutile de risquer de nouvelles questions. Je me tins muet.

Ce brigadier de gendarmerie, avec sa tête de cynocéphale, ornée de poils dont la nuance a fourni le titre à l’une des œuvre de Jules Renard, et son regard de chien de garde, constamment braqué sur moi, ne me disait rien qui vaille.

Et puis, de voir sa main posée sur la gaine de son revolver ne me plaisait pas non